Écrivain, un métier ?

Type 4a Voulez-vous que je vous dise ? Il y a des moments où ce que d'aucuns appellent « le métier d'écrivain » est bien déprimant. Et cela même si, je le maintiens, ce n'est pas un métier, puisque ce terme désigne, selon le Robert, un genre de travail déterminé (…) et dont on peut tirer ses moyens d'existence (renvoi à « gagne-pain »). L'écriture, à mon sens, est donc tout autre chose qu'un métier, sauf sans doute pour ceux qui, justement, la pratiquent dans l'optique de gagner leur vie, voire de s'enrichir. De ceux-là, on peut d'ailleurs dire qu'ils ont du métier : ils appliquent des recettes, vont au plus efficace, sont passés maîtres dans l'art d'utiliser et parfois de manipuler les médias. Ils « vendent », et proposent chaque année à leur fidèle clientèle un produit neuf mais aussi prévisible qu'attendu. Ils pratiquent en quelque sorte le fastfood de l'écriture : ouvrage attirant, bien présenté, ciblé, conçu pour plaire au plus grand nombre, vite absorbé, vite oublié… Mais sans cette touche de génie ou cette saveur unique qui font la grande cuisine. Sans aucun style, en vérité.
    
Mes anciens étudiants se souviennent, je l'espère, des cinq critères qui, selon moi, permettent de reconnaître ce que j'appelle « le véritable écrivain ». Petite révision en cinq points :

  1. Un véritable écrivain est toujours mû, à mon sens, par un besoin quasi pathologique d'écrire. Et quand j'emploie le mot « pathologique », ce n'est pas une figure de rhétorique.
  2. Il doit, consciemment ou le plus souvent inconsciemment, avoir créé un univers qui est caractéristique, identifiable, que l'on retrouve d'œuvre en œuvre, de livre en livre.
  3. De même, ce que j'appelle « le vrai écrivain » a-t-il une thématique qui lui est propre. Là aussi, c'est un phénomène qui sans doute n'est pas voulu, qui n'est pas conscient. Mais lorsqu'on se penche sur l'œuvre d'un grand auteur, on y retrouve quelques thèmes, toujours les mêmes, qui la traversent et la sous-tendent.
  4. Il possède également un style reconnaissable entre tous, qui le définit et qui fait partie de lui. Un style qui fait que lorsqu'on lit quelques pages de lui, on se dit quelque chose comme « on dirait du Le Clézio »… « Si ce n'est pas lui, c'est un excellent imitateur… ».
  5. Enfin, bien sûr, (et c'est le minimum), il doit maîtriser la langue dans laquelle il s'exprime.

     Chacune de ces conditions est nécessaire mais pas suffisante : c'est la conjonction de ces cinq caractéristiques qui seule fait l'écrivain, le vrai, au sens que je donne à ce terme. Je n'ai pas dit « le bon écrivain », car nous entrons là dans des critères subjectifs et donc discutables.
    
Vous remarquerez que je n'ai pas inclus dans ma liste la gloire, le succès médiatique, le tirage ou le chiffre des ventes. Certes, ces éléments quelquefois viennent couronner l'un ou l'autre élu, et c'est heureux. Dans certains cas, cela se produit même de son vivant. On peut citer, dans le passé, les Hugo, Dumas, Gide, Mauriac et, plus près de nous, le merveilleux Le Clézio (merci l'académie Nobel) et autres Laurent Gaudé ou Dany Laferrière... Mais à côté de ceux-là, combien de Verlaine, de Balzac et d'autres, morts dans la misère ou vivant dans l'anonymat et la précarité ?
    
Car il faut avouer que gloire et argent privilégient plus souvent les ex de présidents, ceux qui cultivent le scandale ou la provocation, ceux qui défendent des thèses indéfendables, ceux qui gravitent parmi les people, les « fils ou cousins de… », sans compter tous ceux qui ont trouvé un filon ou une recette et l'appliquent avec régularité : un tiers de suspense, trois dixièmes d'exotisme, une larme de fantastique, une louche d'érotisme, moins de trois pour-cent de descriptions, beaucoup de dialogues, un assortiment de lieux communs, un vocabulaire simpliste et restreint, un nombre de pages limité… Afin de ne pas me faire d'ennemis, je ne citerai pour exemples que l'un ou l'autre auteur aujourd'hui tombé dans l'oubli, mais ayant joui en leur temps d'une renommée et d'un compte en banque intéressants, tels Guy des Cars, Georges Ohnet ou Pierre Benoît. De nos jours, il y a bien sûr les romans publiés par Harlequin dont, d'ailleurs, les auteurs doivent se plier à des impératifs précis et entrer dans une grille préétablie. Et aussi plusieurs prétendus « écrivains » que je ne nommerai pas…
    
Et puis il y a les autres, tous ceux pour qui décidément on ne peut pas dire que l'écriture soit un métier… Qu'est-elle donc pour eux ? Une passion peut-être, un genre de vie ou de survie, un art, une maladie, une addiction, un besoin… Je suis ouverte à toutes les propositions. Pour l'un de mes anciens contrôleurs fiscaux, c'est même un hobby (si si, ce n'est pas une blague, comme le macramé ou le coloriage).
    
Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que la grande majorité des écrivains sont aujourd'hui bien mal traités (bel oxymore, pas vrai ?) par leurs contrôleurs fiscaux, par la presse, par tous les « métiers » de la chaîne du livre (quand leurs créations trouvent éditeur et deviennent ainsi un vrai livre). Sauf exceptions, et nous en connaissons tous car, oui, il existe de vrais écrivains et même de vrais éditeurs.
    
Pourquoi cette forme de mépris ou de méconnaissance ? Parce que les gens qui pratiquent ces métiers, de l'éditeur au libraire en passant par toutes les étapes intermédiaires, ont pour but, justement, de gagner de l'argent, alors que le malheureux artiste ne songe quant à lui qu'à s'exprimer le mieux possible, qu'à créer une œuvre d'art (dans le meilleur des cas), qu'à mettre un peu de beauté ou d'humanité, voire un peu de pensée et de conscience, dans notre triste univers…
    
C'est pour cette raison que le métier d'écrivain est quelquefois bien déprimant. Avez-vous la moindre idée de ce que coûte, en temps (parfois ce sont des années), en efforts de toute sorte, en hésitations, en doutes, en nuits blanches et en bien d'autres choses, la conception d'une œuvre que son auteur, finalement, juge digne d'être montrée ? Un éditeur alors reçoit le manuscrit. Il le lit, il l'apprécie, il y croit (dans le meilleur des cas, car ce n'est pas fréquent). Il prend des risques, lui aussi, décide de le publier. Enfin ce texte existe vraiment, enfin il est devenu un livre, l'un de ces objets à faire rêver, à émouvoir, à faire réfléchir, à faire rire. Et l'auteur alors se prend à rêver à son tour. Par la magie de son écriture, il va toucher des inconnus, quelque part en terre de francophonie. On va le lire, l'aimer peut-être, le comprendre, vibrer à ce monde qu'il a créé. Un dialogue va s'instaurer entre un inconnu et lui, à travers ces pages qui ont germé au plus profond de ce qu'il est.
    
Mais pour que ce livre arrive entre les mains de l'inconnu fantasmé, pour que celui-ci ait la moindre chance de le découvrir et peut-être de l'apprécier, encore faut-il qu'il en ait connaissance. Qu'il puisse le voir, posé sur l'étal d'une librairie, le feuilleter. Qu'il en ait entendu parler ne serait-ce que par un seul critique, dans les pages du supplément littéraire d'une obscure feuille de chou ou d'un grand quotidien. Mais non… Rien. L'éditeur a pourtant envoyé un peu partout ces fameux services de presse qui s'accumulent dans la poussière des salles de rédaction. L'auteur les a consciencieusement signés, dédicacés, cherchant la petite phrase originale ou sympathique. Mais rien. Les critiques sans doute préfèrent commenter les « incontournables » dont parlent tous leurs confrères, signaler cinquante nouvelles nuances de je ne sais quelle couleur douteuse, attirer l'attention sur un nouveau livre à scandale… Et le pauvre « petit » auteur reste dans l'ombre, à noircir du papier, sans grand espoir d'être jamais lu.
    
De la colère dans mon propos, ou plus bassement de l'envie, de la jalousie ? Mais non… Juste une certaine amertume. S'il s'agit de moi, il s'agit aussi de nombre de mes confrères en écriture. De vrais écrivains pourtant. Mais il leur manque sans doute quelque chose comme « des relations », un bon carnet d'adresses, un réseau, que sais-je… Alors, dites-moi, c'est cela, aujourd'hui, être écrivain ? C'est être prêt à tout pour décrocher une interview quelque part, c'est consacrer à « faire la pute » du temps volé à l'écriture ? Il y aurait de quoi sombrer dans le découragement, vous ne croyez pas ? Et dans le silence…

 

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