Phèdre à l’Élysée

Aucune intention de lire ni d'acheter le « Moment » de Valérie Trierweiler. Internet et les médias en général bruissent suffisamment d'extraits, de réactions, de prises de position pour ou contre ce livre (surtout contre), pour ou contre le président Hollande (surtout contre, là aussi)... C'est un peu comme « Les fruits d'or » dans le roman éponyme et en abyme de Nathalie Sarraute : tout le monde en parle, chacun a une opinion, mais personne ne l'a lu. Plus besoin d'ailleurs aujourd'hui de lire pour avoir quelque chose à dire sur ce qui est écrit. Les éditions de Minuit n'ont-elles pas publié naguère un ouvrage de Pierre Bayard, intitulé précisément « Comment parler des livres qu'on n'a pas lus » ? Livre certainement très intéressant, mais que je n'ai pas lu, justement, et dont je ne parlerai donc pas.
Le Moment trierwielerien serait, si j'en crois les médias, un modèle de goujaterie et de muflerie (qualités cependant recensées comme plutôt masculines), mais aussi d'inconscience, de perfidie, de fourberie, de vengeance, de jalousie, d'indécence, de trahison, d'appât du gain, de férocité, de méchanceté… : autant de défauts souvent qualifiés de « typiquement féminins ». C'est « une faute honteuse », un « appel au voyeurisme », « une attaque contre l'esprit civique » et « une menace pour les institutions ». Bigre ! Rien que ça.
Des animateurs de talk-shows (en français dans le texte), des journalistes, des critiques littéraires, des analystes politiques et même des sociologues et autres philosophes s'en emparent, le commentent (sans que nul ne sache s'ils l'ont seulement ouvert).
Mais si peu de gens – du moins au sein de l'intelligentsia – l'ont lu ou avouent l'avoir parcouru, tout le monde par contre l'a acheté (cherchez l'erreur). 145.000 exemplaires vendus déjà, sur un premier tirage de 200.000 exemplaires. Cela laisse rêveur. Combien de ventes du dernier Marc Lévy, du nouveau Guillaume Musso, de l'inévitable Amélie Nothomb de la rentrée ? Dans une autre catégorie, combien de ventes, dites-moi, et quel tirage, de mon dernier roman, de mon prochain recueil de nouvelles ou même de mes « Grandes Affaires criminelles de Belgique » ? Pour un coup médiatique, c'est réussi, aucun doute là-dessus. Mais bon : tout le monde n'a pas la chance d'avoir vécu une idylle avec un chef d'État. Rien à espérer donc de ce côté pour ma notoriété ou mon compte en banque.
Oui, je sais, il ne faut pas comparer ce qui n'est pas comparable, et le pavé de Trierweiler, lancé en pleine face du pauvre François Hollande qui n'avait vraiment pas besoin de ça, n'appartient pas au même registre. J'ignore ce qu'il vaut sur le plan littéraire – et je ne prendrai pas non plus position sur la valeur littéraire des auteurs cités dans les lignes qui précèdent. Si j'en crois les critiques qui sont censés l'avoir lu, il est très mauvais dans ce domaine. Il contiendrait même 8 fautes impardonnables (huit, pensez donc !) dûment recensées sur le Net et sans doute ailleurs. Ceux qui me connaissent le savent : loin de moi l'intention d'absoudre le pseudo-écrivain qui se montre ainsi coupable d'avoir bafoué la grammaire et l'orthographe. Mais enfin, ce n'est pas sur ce point que j'attaquerais, si j'en avais le projet, la médiatique ex-première concubine cocufiée de la République. Car j'ai dans le ventre de mon ordinateur des pages et des pages de fautes tout aussi impardonnables commises par d'autres auteurs, et non des moindres, publiés chez de grands éditeurs (mais que font les correcteurs ?) et quelquefois primés, de Frank ANDRIAT à Florian ZELLER en passant par Pierre ASSOULINE, Jacques ATTALI, René BARJAVEL, Tonino BENACQUISTA, Tahar BEN JELLOUN, Philippe BESSON, Patrick BESSON, Hugo BORIS, David CAMUS, Patrick CAUVIN, Philippe CLAUDEL, Bernard CLAVEL, Maryse CONDÉ, Jean-Paul DUBOIS, Marguerite DURAS, Vincent ENGEL, Jean-Louis FOURNIER, Alexandre Diego GARY, Anne GAVALDA, Patrick GRAINVILLE, Jacqueline HARPMAN, Michel HOUELLEBECQ, Joseph JOFFO, Yasmina KHADRA, Stéphane LAMBERT, J.M.G. LE CLÉZIO, Gilles LEROY, Alain MABANCKOU, Hugo MARSAN, Guy de MAUPASSANT, Jacques MERCIER, Frédéric MITERRAND, Patrick MODIANO, MOKA, Tierno MONÉNEMBO, Guillaume MUSSO, Irène NÉMIROVSKY, Amélie NOTHOMB, Jean-Marc PARISIS, Pierre PÉAN, Jean-Christian PETITFILS, Yann QUEFFÉLEC, Guy RACHET, Jules RENARD, Foulek RINGELHEIM, Jean-Paul SARTRE, Éric-Emmanuel SCHMITT, Jean-Philippe TOUSSAINT, Frédérick TRISTAN, Charles VAN LERBERGHE, Bernard WERBER. Il ne vous aura pas échappé que cette liste comporte plusieurs prix Goncourt, et même deux prix Nobel. J'ajoute qu'elle ne provient que de mes propres découvertes, et que par conséquent bien des auteurs n'y figurent pas pour la seule raison que je ne les lis pas. Et je ne parlerai que pour mémoire des fautes commises par les traducteurs. À mon sens d'ailleurs, en cette matière, ce sont les éditeurs qui sont à blâmer. À eux de refuser un texte incorrect (et l'on sait qu'ils ne se privent pas d'en refuser beaucoup, pour d'autres raisons), à eux s'ils l'acceptent de le faire relire et corriger. Si quelqu'un dans ce milieu a besoin de mes services, je suis disponible.
Foin donc des fautes d'orthographe commises par l'ex-etc. (voir plus haut). Pour ce qui est des fautes morales et des fautes de goût, c'est une autre histoire, qui m'échappe un peu. C'est que je ne suis pas française, moi, et que j'imagine mal notre charmant Philippe se livrant aux turpitudes de l'adultère avec une quelconque journaliste ou actrice. N'est pas Léopold II qui veut, n'est-ce pas ? Quant aux amours coupables ou non de nos Premiers ministres (quand nous avons la chance d'être gouvernés), tout le monde s'en fiche, et c'est très bien comme ça. Ce n'est donc pas la trahison ou le machisme du père François, ni la brutalité de la rupture ou les errances entre salle de bain présidentielle et chambre à coucher élyséenne qui m'intéresseraient, si j'avais l'idée étrange d'ouvrir ce bouquin. Quant à dire si monsieur Hollande a vraiment parlé de « sans dents » pour désigner « les pauvres » qu'il mépriserait dans l'intimité, qui peut savoir si la chose est vraie, tant la perfidie et la fureur d'une femme outragée peuvent être excessives ? Beaucoup de bruit pour rien, comme l'aurait écrit un autre écrivain, un vrai celui-là. À l'instar d'Astérix, archétype du petit Français chauvin et franchouillard, qui proclame fièrement qu' « ils sont fous, ces Romains » (mais aussi ces Bretons, ces Helvètes et tout ce qui n'était pas purement gaulois), j'ai envie de m'écrier qu'ils sont fous, ces Français, d'accorder foi aux propos d'une femme bafouée en quête de vengeance. Et de s'agiter ainsi pour une banale affaire de vindicte amoureuse. Que l'on se souvienne donc de Phèdre prête à détruire qui n'a pas voulu répondre à sa flamme, et consciente de ses excès. 
Cache-moi bien plutôt, je n'ai que trop parlé.
 Mes fureurs au-dehors ont osé se répandre.

  J'ai dit ce que jamais on ne devait entendre.
                                                     (Acte III, scène I)

La seule leçon à tirer de ce qui m'apparaît comme un vaudeville plutôt qu'une tragédie est qu'il convient d'être prudent, tout président que l'on soit. Une femme qui sait écrire (même mal) peut être très dangereuse. Elle n'a pas besoin de poison ou de dague effilée pour détruire qui la repousse… Souvenez-vous :
 Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée :
 C'est Vénus tout entière à sa proie attachée.

                                      (Acte I, scène III)

Même si, dans le cas présent, nous sommes loin de Phèdre. Ou alors une « Phèdreke » comme on dit à Bruxelles.
Et mon Dieu, pourquoi ne pas l'avouer ? À mon sens, le seul crime que l'on puisse imputer ici à madame T est – peut-être – l'absence de talent. Pour le reste… Qu'elle ait voulu se venger après avoir été bafouée et méprisée (si du moins l'on en croit les journaux people), quoi de plus naturel ? Qu'elle ait eu envie de montrer à ses concitoyens le vrai visage de celui qui les dirige, peut-on vraiment le lui reprocher ? Il ne s'agit pas ici de révéler quelque secret d'alcôve, ni de mélanger vie privée et vie publique ou politique, comme l'écrit la quasi-totalité des tartufes hexagonaux, mais de dévoiler la vérité d'un homme. Car je ne pense pas qu'un menteur cesse d'être menteur dès lors qu'il s'agit de gouverner, qu'un lâche devienne courageux quand il cesse d'être mari ou amant pour devenir homme politique. Et je me dis avec un zeste de perversité qu'il n'eût plus fallu qu'elle enregistrât l'une ou l'autre de leurs conversations intimes, dans laquelle peut-être son présidentiel amant exprimait son prétendu mépris du petit peuple de France… C'est alors que les choses deviendraient réellement amusantes !
Il n'en reste pas moins qu'en attendant cet hypothétique et peu probable « moment » de franche rigolade, je n'achèterai ni ne lirai l'œuvre de la vindicative amante délaissée… Parce que j'aime la vraie littérature.

 

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