Société

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Les surprises de la Foire du Livre

(Texte publié dans les  « nouvelles du jour » de la revue Marginales en collaboration avec Le Soir)

 

En notre joli et tout petit royaume vit un écrivain de sexe féminin — c'est-à-dire une écrivaine, si l’on accepte de se fondre dans l’air du temps, de se couler dans le wokisme, le féminisme exacerbé et le prétendu « éveil » contemporains. Elle ne se nomme pas Amélie mais Hélène, Hélène Untel pour être précis, et sa notoriété est restreinte. Elle a pourtant publié une vingtaine d'œuvres, tous genres confondus. Pour un éditeur français, elle avait également accouché d’un gros ouvrage de commande consacré aux affaires criminelles qui, depuis le moyen-âge, ont dans nos provinces défrayé la chronique.

Du coup, comme on dit aujourd’hui, la directrice de collection d’une maison d’édition belge l’a un jour contactée.

Hélène connaissait cet éditeur, relativement récent et spécialisé dans les livres « grand public » : mémoires de ministres, de présentateurs de journaux télévisés et autres personnalités médiatiques, histoires de flics ou de légistes, enquêtes, souvenirs de coureurs cyclistes, portraits de couples royaux, biographies de stars du foot…

— J’ai une proposition à te faire, lui dit l’éditrice. Tu connais sans doute « L’Instant T », l’émission quotidienne qui passe sur les antennes de notre radio nationale ?

— En effet. Il m’arrive de l’entendre lorsque je suis au volant.

— Tu sais donc que c’est le fameux Ludovicus-Johannes Lebuisson qui en fait la notoriété.

— Bien sûr, répondit Hélène. Difficile de ne pas le connaître ! Cela fait plus de vingt ans qu’on ne peut guère échapper à son visage, à sa voix et à son phrasé grandiloquent.

L’autre lui expliqua que la prod (entendez : la société de production responsable de la diffusion des innombrables « Instants T » et de tout ce qui les accompagne) envisageait une série de ces Instants centrée sur les meurtres et autres abominations spécifiques à notre sympathique pays.

— Il nous en faudrait une dizaine, qui donneraient lieu à un livre dont monsieur Lebuisson assurera la promotion avant de lire les textes sur antenne. Pourrais-tu être « la plume » de ce projet ? Nous savons que tes « Grandes affaires criminelles de Belgique » publiées naguère en France ont bien marché…

— Je vais y réfléchir…

— Bien sûr, tu auras un contrat en bonne et due forme, tu percevras des droits d’auteur. Et dans la mesure où il s’agit d’une commande, tu toucheras une avance importante à la remise du manuscrit.

— Je te donnerai ma réponse d’ici quelques jours.

Pour la forme, Hélène fit mine d’hésiter. Mais elle savait déjà qu’elle accepterait la proposition, pour bien des raisons, la première étant qu’un joli chèque serait le bienvenu. « Pour une fois que la littérature nourrit son homme — ou sa femme ! » se dit-elle. Et puis, elle éprouvait un certain plaisir à effectuer des recherches dans les bibliothèques, à consulter de vieilles archives, à dépouiller la presse du temps jadis. Nostalgie sans doute de ses années universitaires… En outre, plusieurs sujets qu’elle avait envisagé de traiter dans ses fameuses « Grandes affaires criminelles de Belgique » dormaient dans le ventre de son ordinateur, certains à l’état d’ébauche, d’autres à demi rédigés.

Elle se mit donc au travail. Un travail qui, cela n’étonnera personne, fut long, exigeant, parfois ardu. Enfin, le livre fut édité sous une couverture tape-à-l’œil comme il sied à ce genre de publication. Le titre jaune vif occupait le tiers de l’espace, surmontant l’image d’un poignard sanglant. Sur le troisième tiers, on pouvait admirer une photo de l’illustre Ludovicus-Johannes Lebuisson, accompagnée d’une épaisse accroche jaune flashy : « Histoires vraies racontées par LUDOVICUS-JOHANNES LEBUISSON ». Le nom d’Hélène était mentionné, lui aussi, en caractères beaucoup plus discrets : « Textes de Hélène Untel ».

Il y eut des articles dans la presse, des interviews du « conteur qui captive tous les après-midis les auditeurs de l’émission L’Instant T… », sans que le nom de l’auteur des textes fût cité. Hélène râla un peu, mais elle se dit que bon, c’est ainsi que cela se passe, et de toute façon, si cet ouvrage alimentaire était bien ficelé et assez réussi, ce n’était cependant pas « de la grande littérature »…

Quelque temps plus tard, elle apprit incidemment que « la prod » avait décidé de ne pas diffuser ses créations sur antenne. Sans doute son style n’était-il pas assez oratoire, à moins qu’il fût trop littéraire. Tant pis pour le faux comte russe qui avait trucidé une antiquaire, tant pis pour « le beau Gustave », pour l’affaire Caumartin-Sirey et pour quelques autres. Tout cela n’était pas très grave.

— L’incident est clos, se dit-elle. J’ai fait le job, le livre existe, je percevrai les droits annoncés. C’est très bien ainsi.

Quelques mois passèrent, jusqu’à ce jeudi 4 avril 2024, date d’ouverture de la Foire du Livre de Bruxelles. Hélène était attendue chez deux de ses autres éditeurs, où elle devait signer romans et nouvelles. Les amateurs le savent : cette « plus grande librairie du pays » se tient sur le site de Tour et Taxis. Les stands MEO et Quadrature se trouvaient tous les deux dans le hall numéro 2 ; or, avant d’atteindre le 2, il faut très logiquement passer par le 1. L’auteur-point-médian-rice, ainsi que l’indiquait son badge, laissa à sa droite le Salon des Auteurs de la SCAM (sans féminin ni point médian cette fois), et parcourut d’un pas pressé les espaces Actes Sud, l’École des Loisirs, Québec éditions, Racine et quelques autres. À sa gauche, en face du podium de la RTBF et juste avant l’entrée du « shed 2 » (en français dans le texte), il y avait le très vaste emplacement 139-140 qui regroupait plusieurs éditeurs. Derrière une rangée de tables couvertes de piles de bouquins, des chaises attendaient les auteurs de premier rang qui viendraient dédicacer leurs œuvres, et des affichettes annonçaient leur nom et l’heure du rendez-vous.

Hélène s’arrêta net. Sur l’une des tables, c’étaient une centaine d’exemplaires de son sanglant ouvrage de commande qui s’empilaient.

Interloquée, car on ne lui avait pas annoncé cette séance de signature, mais flattée quand même, elle s’approcha… et découvrit le texte de l’affichette de présentation : LUDOVICUS-JOHANNES LEBUISSON dédicacera son livre à 17 h.

La surprise passée, Hélène sentit monter la colère. Non mais… Depuis quand invite-t-on un quidam, même s’il est (relativement) célèbre, à dédicacer un volume dont il n’a pas écrit une ligne et que, à en juger par certains de ses propos en interview, il n’a sans doute pas lu ? Bien sûr, ce sont son nom, son visage et surtout la référence à l’Instant T qui attireront les amateurs… Mais la moindre des choses n’aurait-elle pas été de convier l’auteur, le vrai, à s’asseoir à ses côtés et à co-signer « son livre » ?

Elle était attendue chez MEO à midi. Accueil sympa, comme toujours, retrouvailles et rencontres d’autres auteurs (authentiques, ceux-là), discussions, échanges, découvertes… Elle raconta l’anecdote lebuissonesque à qui voulait l’entendre, et fut à la fois rassurée et réconfortée par les réactions indignées ou incrédules de ses confrères.

— Tu devrais aller lui parler, lui suggéra un ami, lui dire ce que tu penses de tout cela.

— Je t’accompagnerai, lui dit un autre.

— Moi, je filmerai la rencontre, ajouta l’assistante de monsieur MEO.

Hélène Untel se rendit donc, à 17 h précises, à proximité de la table sur laquelle trônaient ses crimes. Pas de Ludovicus-Johannes Lebuisson à l’horizon car, comme chacun sait, le propre des stars est de se faire désirer. Un chaland, planté devant la chaise vide du médiatique monsieur Instant T, patientait.

Hélène s’approcha.

— Bonjour, monsieur. Puis-je vous demander ce que vous attendez ?

L’homme la regarda en lui montrant le livre qu’il serrait sur son cœur.

— J’attends Ludovicus Lebuisson, bien sûr. Je suis un fan, j’ai acheté son livre, et je vais le prier de me le dédicacer.

— Je comprends, fit Hélène. Cet ouvrage, vous savez qui l’a écrit ?

— Évidemment, c’est indiqué sur la couverture : c’est Ludovicus-Johannes Lebuisson.

— Ah bon ? Vous êtes sûr ? rétorqua Hélène en lui montrant sur ladite couverture la très discrète mention de son nom : « Textes de Hélène Untel », avant de lui mettre sous le nez le badge « auteur·rice » accroché à son écharpe, sur lequel figurait – forcément – le même nom.

L’homme la regarda, incrédule.

— C’est vous qui l’avez écrit ?

— Mais oui, vous le voyez bien.

Il réfléchit un instant, hésita, puis :

— Dans ce cas, vous voulez bien me le dédicacer ?

— Avec plaisir, répondit-elle en retenant le rire qu’elle sentait monter.

À Didier, avec l’amitié du véritable auteur de ce livre, inscrivit-elle, cependant que Ludovicus-Johannes Lebuisson arrivait enfin, lançant un regard courroucé à l’inconnue qui se permettait de gribouiller dans SON livre. Le fan s’avança, lui présenta l’ouvrage ouvert à la page déjà annotée par « le véritable auteur » qui s’était éloigné de quelques pas.

Hélène attendit que l’illustre personnage en eût terminé avec les quelques amateurs de dédicaces qui lui tendaient leurs livres. Puis elle passa derrière lui, lui frappa sur l’épaule. Il se retourna, lut son nom sur le badge épinglé à son revers.

— Ah, c’est vous ! dit-il avec son grand sourire télévisuel.

— Oui, c’est moi qui ai écrit ce livre…

Il y eut un moment de silence, puis elle enchaîna, avec toute la politesse et tout le calme dont elle était capable.

— À ce propos, je voudrais vous poser une question. Comment se fait-il que je n’aie pas été invitée à vous tenir compagnie derrière cette table, et à dédicacer avec vous cet ouvrage dont, somme toute, je suis l’auteur ? Ou au moins avertie, tout simplement ?

Il hésita un instant.

— Ce n’est pas moi qui décide. C’est l’éditeur qui a tout organisé, je n’y suis pour rien…

— Je comprends. Mais si j’avais été à votre place, j’aurais quand même suggéré à cet éditeur d’inviter l’auteur à co-signer avec moi… L’avez-vous fait ?

La star s’énerva.

— Mais je vous le répète : je n’y suis pour rien. Moi, je me contente de rendre service à l’éditeur. Je ne toucherai pas un centime pour cela, ni sur les ventes. Vos textes ne seront même pas diffusés sur antenne.

Hélène avala sa salive. Le « même pas » était de trop…

— Écoutez, monsieur Lebuisson, que cet ouvrage soit bon ou mauvais, là n’est pas l’affaire. C’est moi qui l’ai écrit, voilà tout. L’auteur, c’est moi, Hélène Untel. N'avoir pas pris la peine de m'aviser de cette séance de dédicace de MON livre par quelqu'un qui n’en a pas écrit une ligne, c’est un manque de respect, de politesse, de civilité, de…

Un petit attroupement s’était formé. L’illustre Dubuisson éleva la voix.

— Asseyez-vous donc, et signez avec moi, puisque vous y tenez ! Et je vous le répète : c’est à l’éditeur que vous devez vous en prendre, pas à moi.

Hélène haussa le ton, elle aussi.

— Vous n’avez rien compris, monsieur. Je me fiche bien de signer à vos côtés, je ne cherche pas ici une vaine gloriole. Je suis d’ailleurs censée dédicacer ailleurs mon dernier roman et quelques-uns de ceux qui l’ont précédé, en ce moment. Simplement, je suis choquée du surprenant manque de considération dont fait preuve ici l’éditeur… tout comme ceux qui, de toute évidence, n’ont pas pensé à lui rappeler que cette œuvre est le fruit du travail d’un écrivain véritable, d’un auteur qui y a consacré du temps et de l’énergie.

Elle ne put aller plus loin, interpellée – pour ne pas dire agressée – par une dame tirée à quatre épingles à l’allure imposante et au maquillage… très apparent. Son badge indiquait son nom et la fonction : attachée de presse.

— Que se passe-t-il ? Que voulez-vous ?

Hélène respira un grand coup pour se calmer, puis expliqua.

— Je suis venue aujourd’hui pour signer certaines de mes œuvres sur les stands MEO et Quadrature, et j’ai découvert, en passant devant l’espace 139-140, que monsieur Lebuisson allait dédicacer à 17 h cet ouvrage, dont JE suis l’auteur. Je m’étonne donc que…

— Ce n’est pas vrai, rétorqua le désagréable personnage.

— Comment cela, ce n’est pas vrai ?

— Vous n’avez rien découvert. Vous le saviez très bien. D’ailleurs, vous vous êtes déjà plainte.

— Mais… mais… Je n’étais au courant de rien, je ne suis pas venue à la soirée d’inauguration, je suis arrivée tout à l’heure, vers midi, je suis passée devant les tables, j’ai vu mes livres et l’affichette, je…

— De toute façon, c’est ainsi, voilà tout. Et si vous voulez discuter avec un quelconque membre de l’équipe éditoriale, sachez qu’il n’y aura personne, ni aujourd’hui, ni demain… D'ailleurs, c’est monsieur Lebuisson qui assure le succès de ce livre.

Hélène se fâcha pour de bon.

— Je vais vous répéter ce que j’ai dit déjà à votre monsieur Lebuisson. Quel que soit le personnage responsable de ce prétendu « oubli », c’est un manque de la plus élémentaire considération envers le travail et la personne de l’écrivain. J’ai peine à concevoir une telle absence d’éducation, de civilité, de correction, de…

— Eh bien, fit la mégère, installez-vous et dédicacez, puisque c’est cela que vous voulez !!!

Hélène renonça à lui redire ce qu’elle avait déjà tenté d’expliquer à l’illustre Ludovicus-Johannes. Madame l’attachée de presse, d’ailleurs, avait tourné les talons sans plus attendre, avec la grossièreté qui semblait lui être coutumière, et s’en était allée vers d’autres horizons.

Hélène s’éloigna, elle aussi, en se disant que cette histoire aurait du moins l’avantage de lui donner matière à une nouvelle. Le proverbe a raison, songea-t-elle, qui affirme qu’à quelque chose malheur est bon.

Tout n’était donc pas perdu.

 


 

Lettre ouverte à madame Bénédicte LINARD

Linard

Madame la Ministre et chère ex-collègue…

Je savais déjà que vous cumuliez une foultitude de casquettes et de très hautes responsabilités aussi multiples que diverses, puisque vous êtes depuis le 17 septembre 2019, si j’en crois l’incontournable Wikipédia et quelques autres sources sans doute plus sérieuses : ministre de la Culture, de l'Enfance, des Droits des femmes, de la Santé et des Médias au sein du gouvernement de la Communauté française.

Bigre ! Tout cela pour une seule personne… Vous voilà donc appelée à gérer des secteurs pour le moins disparates. Car l’on ne peut que s’interroger sur les rapports entre « culture », « enfance », « droits des femmes », « santé » et « médias »… Certes, la culture et les médias ont entre elles quelque lien. Pour le reste, c’est plus nébuleux.

Je découvre également que nous avons toutes deux fait nos candidatures à Saint-Louis puis obtenu notre licence en langues et littérature romanes et notre agrégation à Louvain. Et que nous avons toutes deux enseigné le français, mais à quelque vingt années de distance, au sein du même établissement, c'est-à-dire à l’Institut des Sœurs de Notre-Dame d’Anderlecht… où d’ailleurs vous avez peut-être été mon élève…

Mais ce n’est pas pour évoquer Saint-Louis et son mémorable CAU, Louvain ou l’ISND que je prends aujourd’hui la liberté de m’adresser à vous. D’autant que nos voies ont ensuite divergé. Je ne me suis pas lancée en politique, je n’ai quitté l’enseignement (qui fut pour moi plus qu’une passion) que contrainte et forcée par cette horrible limite « au-delà de laquelle votre ticket n’est plus valable ». J’ajoute que ce métier exigeant et magnifique, je l’ai pratiqué tout en écrivant et publiant une vingtaine de ces « livres » que vous refusez aujourd’hui d’aider à survivre, ainsi que leurs auteurs, éditeurs et autres intervenants.

Ce n’est donc pas à une consœur ex-enseignante que je souhaite m’adresser ici, ni à une possible ancienne élève, mais à l’auguste ministre de la Culture. Celle-là même dont j’apprends avec incrédulité et colère — et le mot est faible — qu’elle se serait « positionnée clairement contre l’absence totale de refinancement du secteur Lettres et Livres, dont le budget ne dépasse pas 4 millions d’euros » (source : Partenariat Interprofessionnel du Livre et de l’Édition numérique), et cela alors que, selon la même source : « les montants alloués aux programmes de lettres et livres ne représentent déjà aujourd’hui que 0,4 % de l’ensemble des budgets culturels alloués. Malgré la forte inflation des années précédentes, le secteur n’a reçu aucune augmentation, pendant que (et même si nous nous en réjouissons pour eux) les Arts de la scène engrangent 35 millions d’euros supplémentaires (ils passent de 110 à 145 millions d’euros) ».

Pourtant, sauf erreur de ma part, il yLivres a 5 mois à peine, l’on pouvait lire sur votre site officiel que : « à l’initiative de la ministre de la Culture Bénédicte Linard, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté ce jeudi un avant-projet de décret visant à mettre en place un cadre légal pour renforcer et pérenniser les subventions existantes dans le secteur des langues, des lettres et du livre en Belgique francophone ». Il était question aussi, dans cet article d’autopromotion, « d’assurer la pérennité des politiques menées dans le secteur des langues, du livre et des lettres, qui ne bénéficiait jusqu’alors d’aucun cadre légal », de « favoriser la professionnalisation et stimuler l’émergence de nouveaux talents ». Je me délecte, poursuivant mon exploration, de lire sous votre plume que « Soutenir le secteur du livre et l’accès à la lecture pour le plus grand nombre est essentiel. (…) Dorénavant, grâce à ce nouveau décret, les procédures de subventionnement dans ce secteur du livre et de la langue française seront objectivées et donc plus transparentes, au bénéfice de tous les acteurs concernés. Nous allons ainsi soutenir les autrices et les auteurs, et permettre à toujours plus de citoyens d’accéder au livre, à la lecture, à la littérature ».

Réjouissant programme, qui étrangement débouche sur l’actuelle mort assistée de ce même secteur du livre, par le biais d’une absence de refinancement et même d’indexation dudit secteur qui, d’ailleurs, était entré en agonie voici belle lurette.

L’on sait que les mots « politique » et « respect des promesses » ou « honnêteté morale » ne font pas nécessairement bon ménage. L’on peut comprendre aussi que, sous vos cinq lourdes casquettes, votre crâne se trouve quelquefois en surchauffe. Mais quand même, madame la ministre-romaniste-transfuge de l’Enseignement… Dois-je vous rappeler ce qu’est un LIVRE, quelles en sont l’importance et la fragilité ? Dois-je évoquer pour vous le temps que demande la rédaction d’un roman, sans même parler d’essais ou d’ouvrages scientifiques ? Me faut-il peindre l’image romantique du pauvre plumitif tremblant de froid dans sa triste chambre de bonne et noyant dans l’absinthe sa misère et sa faim  ? Est-il utile de redire à la romaniste que vous fûtes ce que représente de travail, de recherches, d’investissement, de souffrance parfois, la moindre plaquette, le plus minime opuscule ? Dois-je vous rappeler que la mort du livre s’accompagne souvent d’une mort de la démocratie et de la liberté, en vous renvoyant à vos cours d’histoire et aux autodafés qui, toujours et partout, ont été les signes avant-coureurs de la dictature et de la tyrannie ?

Livre tete de mort

Oui, je sais : nos charmants bambins aujourd’hui ne lisent plus guère, ou alors (dans le meilleur des cas) des mangas et surtout, sans réserve, des post Tiktok ou Insta, des « réels », des « visuels », sans texte, sans autres idées que celles d’une propagande religieuse, politique ou conspirationniste, selon les cas.

Pour le reste… Nous sommes entrés dans l’ère de l’autoédition. De nos jours, « un simple clic » suffit à publier — au sens étymologique du terme — tout et n’importe quoi. Mais le VRAI livre, choisi, accepté, relu, défendu, par un VRAI éditeur, il reste irremplaçable s’il faut bien constater qu’il se meurt lentement. Mais, je vous le demande, ne serait-il pas opportun de l’assister de l’une ou l’autre perfusion bienvenue, de pratiquer sur lui un énergique massage cardiaque, de lui greffer quelque organe tout neuf afin, peut-être, d’en prolonger l’existence ou même, on peut toujours rêver, de lui rendre jeunesse, force et santé ? Alors, peut-être, il quittera sa couche, se lèvera à nouveau, combattra ayatollahs et faux prophètes, et les gamins pourront fantasmer sur autre chose que les exploits sportifs de leurs idoles, et les jeunes filles s’intéresseront à autre chose qu’aux influenceuses tiktokeuses qui depuis Dubaï ou ailleurs leur expliquent comment ressembler à une poupée gonflable à l’abyssale crétinerie, siliconée et hyaluronisée.

Mais tout cela sans doute n’est guère porteur, ni dans l’air du temps. Et l’on sait qu’en politique, il convient de plaire au plus grand nombre. L’on sait encore que les gens incapables de lire sont aussi incapables de réfléchir, et constituent un vivier d’électeurs manipulables à merci…

J’en suis certaine, telle n’est pas la cause de votre surprenant retournement de veste. Sans avoir la prétention d’avoir pu vous convaincre de quoi que ce soit, j’ose néanmoins espérer, Madame la Ministre et chère ex-collègue, vous avoir offert dans ces quelques lignes certains éléments de réflexion…

AUTEURE, AUTRICE OU AUTEURICE ?

J’ai découvert, au hasard d’une émission littéraire, l’existence d’une maison d’édition que je ne connaissais pas. J’ai eu la curiosité de me renseigner, et j’ai donc consulté le site de ladite maison.

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Cela m’a permis de visionner la liste-trombinoscope des AUTEURICES (sic) qu’elle publie. Si si, je vous assure, vous avez bien lu. Ce qui ne l’empêche pas de se présenter, sur le même site, comme une maison « qui publie chaque année des romans, novellas et recueils de nouvelles D’AUTEURS FRANÇAIS ET ÉTRANGERS ». Cherchez l’erreur…

Même dans le monde de la science-fiction, qui constitue le genre-phare de cette maison, ce mot est un non-sens (et une monstruosité). J’ai souvent rencontré des AUTEURES et des AUTRICES (deux catégories auxquelles je me refuse d’appartenir, bien décidée à demeurer à jamais UN AUTEUR, même si en l’occurrence cet auteur est sans conteste une femme, de même que je suis un PROFESSEUR et même un ÉCRIVAIN, tous de sexe féminin, et — tant qu’à faire — UN être humain.

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Mais du moins les néologismes d’AUTEURE et d’AUTRICE s’inscrivent-ils dans une certaine logique linguistique, tout comme les mots INSPECTRICE, ACTRICE, CONDUCTRICE, MINEURE, PRIEURE ou SUPÉRIEURE, depuis longtemps entrés dans l’usage et les dictionnaires.

Car, rappelons-le, c’est l’usage qui fait évoluer une langue (et ce n’est pas le bon monsieur Grevisse qui m’aurait contredite), et non les ukases à connotation “politiquement correcte” ou “dans l’air du temps” de démagogues de tout poil ou de militantes féministes. Bien sûr, si ces féminisations et autres inclusivités avaient le moindre impact sur le nombre de “violences faites aux femmes”, sur le mépris dont trop souvent elles restent l’objet, si ces fadaises linguistiques permettaient de diminuer le nombre de meurtres, de viols, de mutilations, d’agressions, de “coups et blessures” dont elles sont victimes, eh bien, mon Dieu, peut-être me convertirais-je à cette religion nouvelle et j’inclusiverais à tout va, moi aussi. Mais de toute évidence, il n’existe aucun rapport entre ces tristes réalités et la prétendue bonne conscience syntaxique qui se répand aujourd’hui. Au contraire, suis-je tentée de dire.

Quoi qu’il en soit, constater qu’un éditeur, un vrai, qui ne semble pas pratiquer le compte d’auteur revendiqué ou déguisé, utilise ce néologisme aussi ridicule que barbare, cela a de quoi faire frémir…

Quant à moi, je ne risque pas, en tout cas, de lui proposer l’un ou l’autre manuscrit. Et je reviens à mon mantra préféré : “la connerie humaine est sans limites”…

ET TANT QU’À FAIRE... VICTOR HUGO EN INCLUSIF, C’EST INTÉRESSANT (LES CHÂTIMENTS)
Celles et ceux qui vivent, ce sont celles et ceux qui luttent ; ce sont
Celles et ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front,
Celles et ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime,
Celles et ceux qui marchent pensif.ve.s, épris.e.e d’un but sublime,
(...) C’est le-la prophète.sse saint.e prosterné.e devant l’arche,

C’est le-la travailleur.euse, pâtre.sse, ouvrier.ère, patriarche ;

(...) Inutiles, épars.e.s, iels traînent ici-bas

(...) Iels sont les passant.e.s froid.e.s, sans but, sans nœud, sans âge ;

(...) Oh non, je ne suis point de celles et ceux-là ! grand.e.s, prospères,

Fier.ère.s, puissant.e.s, ou caché.e.s dans d’immondes repaires, 

ET SI ON RÉÉCRIVAIT LES PENSÉES DE PASCAL ?
« L’homme-la femme
n’est qu’un.e roseau.elle, le.la plus faible de la nature; mais c’est un.e roseau.elle pensant.e. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le.la tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme-la femme serait encore plus noble que ce qui le.la tue, parce qu’iel sait qu’iel meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui.elle, l’univers n’en sait rien. »

 

26 JANVIER 2022, PRESQUE EN DIRECT… ou QUAND LES LINGUISTES S'EMMÊLENT LES PINCEAUX

 

F14c52dd phpj5uc96 pngConsternant. Sidérant. Affligeant. Navrant. Terrifiant. Désespérant. Atterrant.

Les mots me manquent. Pourtant, c'est mon métier de les utiliser, après les avoir très longtemps enseignés avec passion. Je crois les maîtriser, j'aime en jouer, les marier, les polir et les ciseler, les apparier, les faire sonner en improbables anagrammes et autres ambigrammes. Ils sont le moteur de mon double métier d'enseignante et d'écrivain…

Je me suis installée ce soir sur mon divan devant la (généralement) excellente "Grande Librairie" de Busnel, sur France 5, bien décidée à passer une bonne soirée, littéraire et culturelle. J'avais lu qu'Erik Orsena figurait parmi les invités, ainsi que l'auteur Tonino Benacquista, que j'aime beaucoup. Je vais me régaler, ai-je pensé.

En effet, étaient invités : l'académicien Erik ORSENNA et le linguiste Bernard CERQUIGLINI, pour leur livre "Les Mots immigrés", en compagnie d'une certaine Aurore VINCENTI, auteur (autrice à en croire ses illustres compagnons de plateau et a fortiori elle-même) de deux ouvrages intitulés "Les mots du bitume" et "Comme on dit chez nous". Le premier reprend, si je m'en réfère à la présentation de l'émission, "les meilleures chroniques d'Aurore Vincenti diffusées dans l'émission QU'EST-CE QUE TU M'JACTES ? sur France Inter".

À l'écoute des incroyables âneries qu'elle proférait avec une belle autorité, j'ai eu la curiosité de vérifier les compétences de cette chroniqueuse devenue "écrivaine", histoire de savoir à qui j'avais affaire. J'ai donc découvert, sur Linkedin notamment, qu'elle se présente comme "spécialiste en LINGUISTIQUE, THÉRAPIE CORPORELLE, SEXOLOGIE". Tout cela à la fois… Excusez du peu.

Un vrai Pic de la Mirandole en jupons. Je précise "en jupons", car le dénommé Pic de la Mirandole, Jean de son prénom, était de sexe masculin : nul n'est parfait. Et, pour mon plus grand malheur, mon clavier d'ordinateur n'offre pas la possibilité du point médian inclusif que la dame revendique avec énergie…

Tout cela ne m'a pas empêchée de pousser plus loin mes indiscrètes investigations. Ceux qui pratiquent Linkedin le savent : cette plateforme offre à ses abonnés la possibilité de se présenter, dans l'optique d'attirer l'attention de potentiels employeurs. Voici donc le copié-collé de ce qu'écrit la dame à son propre sujet :

"Corps, danses, langues, imaginaires, sensibilités, genres et sexualités : voilà un aperçu de l'étendue de ce qui me traverse, m'émeut et me questionne.

Si vous aviez accès à mes mains, vous verriez qu’elles sont traversées par une multitude de lignes profondes et entrelacées comme autant de chemins que j’ai choisi de parcourir pour apprendre et me former.

J'ai dessiné une ligne de linguiste, initiée sur les bancs de l’École normale supérieure jusqu’à passer et obtenir une agrégation d’anglais.

Une seconde ligne, « d’éducatrice somatique » en Body-Mind Centering®, locution abstruse qui renvoie à des approches de conscience corporelle par le mouvement, la danse et le toucher.

Une troisième, en sexologie, à l’issue d’une formation à l'Université de Genève.

Mon amour des langues m’a engagée à développer un travail de vulgarisation linguistique dans les médias. Mon dada : tout ce qui est recalé aux portes du dictionnaire et tout ce qui tord le cou à la grammaire : les argots, les jargons, les parlers populaires et même les bruits qu’on fait avec la bouche.

En parallèle, j'accompagne des personnes seules ou en groupe dans des recherches sur la langue, le travail de la voix et du corps et la sexualité et si je suis amenée à tout faire en même temps, c’est là que je suis le plus heureuse !

À cela, j'ajouterais que je chante et danse depuis que je suis en âge de me rouler par terre !"

Oui, je sais : le style est… ce qu'il est. Mais lisons plus loin : la même source nous apprend, que ce génie (ou : cette génie ?) a fréquenté :

  • L'université de Genève, de 2019 à 2022, où elle a obtenu (toujours à l'en croire), un certificat en sexologie clinique.
  • The School for Body-Mind Centering® de 2015 à 2017, où elle a suivi une formation en "Somatic Movement Educator, Thérapies corporelles somatiques".
  • L'École normale supérieure, de 2009 à 2013, où elle a obtenu une agrégation externe d'anglais, diplôme ENS, langue anglaise et littérature.
  • L'Institut de Gasquet en 2019, où elle a suivi une "formation massage bébé, lien mère-enfant, Thérapie/thérapeute physique".
  • L'Université Paris-Sorbonne : obtention d'un Master 2 (M2), Langue anglaise et littérature/lettres (dates non précisées).

Époustouflée et un peu perturbée par tant de talents prodigieusement divers, j'ai eu la curiosité d'aller voir, dans la foulée, sa page FB. Cela m'a permis de découvrir avec émerveillement la prose de cette "linguiste" prétendument bardée de diplômes, qui écrit des phrases aussi lourdes qu'incorrectes. Un exemple ? Dans un post, elle évoque "un de mes professeurs érudit de droit constitutionnel" (érudit de droit constitutionnel ???) qui, selon elle, professait que "ceux qui sont là pour sauver la veuve et l'orphelin, vous vous êtes trompés de voie, la loi est faite par ceux qui ont le pouvoir, la classe dominante, et ils veillent à préserver leur privilège…". J'ose espérer, quant à moi, que cet "érudit de droit constitutionnel" (sic) s'exprimait mieux et, surtout, plus clairement. J'ai aussi découvert à la lecture de ses messages qu'elle préconise l'union "pour que les lois liberticides ne deviennent pas la normalité", nous enjoignant de "faire appel à notre humanisme, notre solidarité, notre fraternité, que personne, aucun pouvoir ne puisse démanteler cette force de notre société". Ne me demandez pas de quelle "force de notre société" il s'agit, car j'avoue humblement que je ne l'ai pas compris — sans doute parce que je n'ai pas, quant à moi, suivi 5 formations (pseudo) universitaires. Quant aux lois liberticides, j'imagine que ce sont celles qui imposent le passe sanitaire, les mesures de confinement et autres faits de tyrannie dont le seul but est de protéger la société dans son entier en évitant autant que faire se peut la propagation d'un virus qui tue — le vilain — sans distinction, avec une nette préférence pour ceux qui refusent lesdites lois et le vaccin, tels feu les frères Bogdanoff.

Poursuivant mon enquête, j'ai parcouru les quelques pages de ses "Mots du bitume" proposées, en avant-goût, sur google books. Cela m'a permis de constater que l'on peut être linguiste, publier aux éditions Le Robert, sans pour autant respecter les règles des traits d'union, de la ponctuation, des accords au pluriel ou de l'imparfait du subjonctif, ce que m'ont notamment démontré les "bouc-émissaires" (sic) qu'elle mentionne et le jeu de mots selon lequel "il s'en fallut de peu que le boloss fut [sic] un beau gosse". Mais nobody's perfect, et ces petites erreurs n'empêchent personne de youtuber à tout va (car elle trouve encore le temps de se livrer à cette intéressante activité) ou de discuter le bout de gras chez Busnel avec un académicien de 74 printemps goncourisé qui, pour la circonstance, m'a paru étrangement… heu… comment dire… étrangement et tristement wokiste, pour employer un terme (trop) à la mode, ou "à côté de ses pompes" pour parler "bitume". En tout cas, très en dessous de ce qu'on pouvait espérer de l'auteur de quelque 46 ouvrages (ce qui le place bien au-dessus de notre Amélie nationale), parmi lesquels les fameux "La grammaire est une chanson douce" et "Les chevaliers du subjonctif".

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Les ravages de l'âge peut-être, que Racine appelait plus joliment "des ans l'irréparable outrage", à moins que ce fût (à l'imparfait du subjonctif et avec l'accent circonflexe, forcément) le désir de jouer à faire semblant d'être dans le vent, ou plus simplement le plaisir de ce brin de provocation qui l'a toujours caractérisé… Et vas-y que je féminise à tous crins, que je parle de "celles et ceux" et des "Françaises et Français", que je réfléchisse gravement sur le point médian et autres inclusivités aussi invraisemblables qu'incompréhensibles.

La LINGUISTE-SEXOLOGUE-DANSEUSE-CHANTEUSE-THÉRAPEUTE CORPORELLE ET SOMATIQUE-YOUTUBEUSE-MASSEUSE-AGRÉGÉE en rajoutait avec délice, sans paraître s'apercevoir que ses deux éminents confrères s'égaraient dans les définitions et étymologies qu'eux-mêmes cependant avaient renseignées dans leur ouvrage, au point que Busnel s'est permis de leur demander si ce livre, c'est bien eux qui l'ont écrit. Elle aussi, d'ailleurs, se perdait dans les questions générées par son propre bouquin. Bref : une catastrophe, dont je ne savais si je devais rire ou pleurer. Jusqu'au moment où cette "enseignante" (car oui, elle a aussi enseigné à ce qu'elle raconte dans moult interviews) a expliqué sans rire que les jeunes, ces pauvres gamin-e-s que les profs et l'élite méprisent paraît-il, ont en fait une très grande richesse linguistique et sont parfaitement bilingues. En effet, non seulement ils maîtrisent ce langage "du bitume" que nous, les vieux cons qui n'avons pas écouté du rap pendant 5 ans comme elle se vante de l'avoir fait, ne comprenons pas, mais en outre ils maîtrisent tout aussi bien notre langue à nous, les "vieux", les "profs", les "élites". Là, j'ai fait un triple saut périlleux et j'ai frôlé la crise cardiaque. Car, de toute évidence, elle n'a jamais mis un pied dans une classe d'ados. Moi qui continue d'enseigner en cours particuliers malgré mon âge canonique, après une longue carrière de prof de français dans le secondaire et le supérieur, moi qui continue d'aider toutes sortes d'élèves, de tous les niveaux, je suis chaque jour confrontée à des gamins (pardon : des gamin-e-s) qui ne comprennent pas le sens de textes pourtant simples, qui me demandent très sérieusement pourquoi les auteurs emploient des mots compliqués comme "joli", "charmant", "gracieux", mignon", séduisant", "plaisant", "délicieux", etc. alors qu'ils auraient pu se contenter d'écrire "beau", ce qui est quand même plus simple… Et croyez-moi, des enseignants bien plus jeunes que moi (ou moins vieux, c'est selon), sont tout aussi sidérés par l'actuelle méconnaissance par leurs élèves, tous niveaux sociaux confondus, du vocabulaire le plus élémentaire. Il va sans dire que, lorsque quand j'écris ici le mot "enseignants", je vous laisse ajouter mentalement l'inévitable point médian, car il y a aussi des femmes dans cette merveilleuse profession.

Il ne s'agit pas, comme elle l'a proclamé, de prendre prétexte de l'existence d'enfants dyslexiques pour refuser le point médian et autres fariboles inclusives. Mais dites-moi, comment apprendre à lire, et à écrire, à des petits bouts de 6 ou 7 ans qui n'ont rien de dyslexique, sur base de textes truffés de "enfant-e-s petit-e-s" qui, "tout-e-s ont des professeur-e-s sévères et exigeant-e-s" ??? Et comment lire tout haut une phrase de ce genre ? Comment utiliser et accorder l'abominable IEL dont Orsenna et madame Vincenti vantaient les mérites ? Et lorsque quelques rares bambin-e-s auront malgré tout réussi à atteindre le collège, comment leur expliquer que si "tout homme est mortel" selon les philosophes, cela n'implique pas que les femmes, elles, soient peut-être dispensées de ce destin funeste ? Comment, en biologie, parler de "la girafe" en expliquant que pourtant cette race, comme celle des humains-e-s, comporte des mâles, tout comme celle des panthères ou des tortues, alors que de son côté l'espèce des lézards ne manque pas de femelles, pas plus que celles des oiseaux ou des poissons, parmi lesquels d'ailleurs certains ont un genre féminin pour un sexe quelquefois masculin, comme la truite, la raie, l'anguille ??? Et comment nommer l'escargot qui change de sexe en prenant de l'âge ?

Bref : on connaît le mantra que je répète volontiers : "la connerie humaine est sans limites"… et ce n'est pas près de s'arranger, semble-t-il.

Il me reste à espérer avec madame Vincenti "que les lois liberticides ne deviennent pas la normalité", et que par conséquent, personne n'obligera jamais les gens — et surtout ne m'obligera jamais, moi — à écrire, penser ou enseigner dans le droit fil de ce sinistre et imbécile wokisme qui n'est qu'une fausse bien-pensance inepte et abêtissante.

 

LA JOURNÉE DE LA FEMME… À LA SAUCE DE CHEZ NOUS

Clito saint gilles 2Nous sommes le 8 mars. C’est donc "la Journée internationale des femmes, également appelée journée internationale des droits des femmes dans certains pays comme la France" selon Wikipédia qui sait tout. Nous vivons par conséquent une journée dédiée à la défense des droits des femmes, à l’échelle mondiale. Magnifique, n’est-ce pas ? Ce sont les Nations Unies qui président à la création et à la célébration de journées, de semaines, d’années et de décennies ainsi vouées à des thèmes particuliers. En une seule année, on célèbre plus de 140 "journées internationales", sans même parler des "journées mondiales" car, oui, il en existe aussi. 140, ça fait beaucoup… Trop pour que je cite ici toutes ces pseudo-célébrations, en dépit de l’envie selon l’expression du brave Don Diègue (pour ceux qui ont encore un peu de culture littéraire). Je ne résiste pas, cependant, à la tentation d’en mentionner quelques-unes dont, j’en suis certaine, personne ne connaît l’existence, telles la journée mondiale des légumineuses (10 février), la journée internationale des femmes et des filles de science (11 février), la journée internationale du Novruz (21 mars) — et non, je ne sais pas ce qu’est le Novruz — la journée internationale du vol spatial habité (12 avril), la journée internationale des délégués (délégués à quoi ? délégués de qui ?), la journée des jeunes filles dans le secteur des TIC (21 avril). Il y a aussi la journée de la montagne, celle de l’aviation civile internationale, celle du livre et du droit d’auteur et celle de la propriété intellectuelle (avis aux plagiaires de tout poil), celle des banques, celle des volontaires (?), celles des sols, des oiseaux migrateurs, de la lumière, des abeilles, du thé (et pas du café, triste discrimination), du Vesak (?), de la bicyclette, des envois de fonds familiaux, de la gastronomie durable, de la célébration du solstice, des astéroïdes, du jeu d’échecs, de l’amitié (rien sur l’amour, par contre…), de la charité, de l’air pur pour des ciels bleus (sic), des enseignants, de la statistique, de la philosophie, des toilettes… J’ai même découvert qu’il existe une journée internationale du jazz, et une journée mondiale du thon.

Thon

Bizarrement, certaines dates sont plus fastes que d’autres, comme le 21 mars qui, outre le mystérieux Novruz, est dédié aux forêts, à l’élimination de la haine raciale, à la poésie et à la trisomie 21. Tout ça, et dans cet ordre-là.

Mais revenons aux femmes, très présentes dans la liste des causes dignes de se trouver valorisées par la mise en place d’une journée internationale ou mondiale. Car, outre la journée des droits de la femme que nous célébrons aujourd’hui, il existe aussi une journée internationale de la fille (11 octobre), une journée internationale des femmes rurales (15 octobre), une journée internationale des femmes et des filles de science (mais ne me demandez pas ce que peut bien être une "fille de science"), une journée pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes… alors que les hommes, quant à eux, ne sont gratifiés que de la fameuse "journée des droits de l’homme" (10 décembre).

Ce qui m’amène à me poser quelques questions qui, de toute évidence, n’entrent pas dans le droit fil du politiquement correct actuel, en ces temps de revendications diverses, de féminisation à outrance, d’écriture inclusive et autres "celles et ceux" ou "toutes et tous" dont nous abreuvent politiciens et médias.

Car enfin, lorsqu’on dit avec Aristote et Robert Merle que "l’homme est un animal doué de raison", ou avec Bergson que "le rire est le propre de l’homme", cela revient-il à proclamer que la femme, quant à elle, ne possède pas une once de raison ou ne connaît pas le rire ? Allons, un peu de sérieux ! Quand on évoque l’homme, c’est de l’individu (mâle ou femelle) appartenant à l’espèce humaine qu’il est question, et pas uniquement du mâle de cette espèce. De même lorsqu’on parle du lion (masculin) et de la baleine (féminin), du loup (masculin) et de la panthère (féminin), du dauphin (masculin) et de l’hyène ou de la girafe (féminins) : c’est bien à l’espèce que l’on fait référence, et non au sexe. Le mot homme, d’ailleurs, dérive directement du latin HOMO qui désigne bien le représentant de l’espèce humaine, contrairement au mot VIR qui, quant à lui, renvoie à l’homme sexué, au mâle, dont découlent en français les termes VIRIL, VIRILITÉ, etc. Il est clair que lorsqu'on parle d'HOMO SAPIENS ou d'HOMO ERECTUS, c'est bien de la "race" humaine qu'il s'agit, race qui comprend des représentants mâles (VIR) et des représentants femelles (FEMINA).

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Mais je m’écarte de mon propos, c’est-à-dire de cette Journée internationale des femmes que nous célébrons aujourd’hui, entre celle du 3 mars (Journée mondiale de la vie sauvage) et celle du 20 mars (Journée internationale du bonheur & Journée de la langue française). Tout un programme : entre la vie sauvage et le bonheur, il y a… la femme.

Si je ne sais pas trop ce que l’on est censé fêter (ou défendre) en ce jour, si je m’attends à de bizarres manifestations et à des revendications plus ou moins virCapture clitoulentes, je ne peux que m’étonner — et le mot est faible — de la façon qu’a choisie l’administration communale de Saint-Gilles pour célébrer la femme. Pour ceux qui ne seraient pas encore au courant, rappelons que, à l’instigation de l’écolo Catherine Morenville, échevine de l’égalité des chances et des droits des femmes, un énorme clitoris se trouve affiché sur la façade de la Maison communale de Saint-Gilles. L’échevine en question justifie ce choix en affirmant que "l’organe féminin du plaisir est devenu un symbole féministe, un symbole d’émancipation éminemment politique". Eh ben… c’est donc cela, madame Morenville, le symbole de "l’égalité des chances et des droits des femmes" que vous êtes censée défendre ? Mais peut-être ​​​​​​​votre cerveau se niche-t-il en ce lieu plutôt que derrière vo​​​​​​​tre front, ceci expliquant cel​​​​​​​a.​​​​​​​

Hallucinant, non ? Le clitoris serait donc ce qui détermine la femme. Foin de son intelligence, de sa sensibilité, de son éventuel talent dans tel ou tel domaine, de sa culture, son travail, son dévouement, ses succès, ses réalisations, ses qualités, ses combats, ses efforts… Tout cela ne compte guère au regard de son sexe (au sens physique du terme) ou, plus précisément, de l’une des composantes de ce sexe. Pourquoi ne pas avoir, dans la foulée, affiché sur la façade de la Maison communale une paire de seins ou un utérus géant ? Voilà, mesdames, ce que vous êtes, ce ​​​​​​​qui vous détermi​​​​​​​ne et vous caractérise, ce qui constitue votre essence même : votre clitoris. Les droits des femmes se limiteraient donc au droit au plaisir, si je traduis bien. Au plaisir physique s’entend, ​​​​​​​et non au plaisir esthétique ou intellectuel. Et tant pis pour celles, trop nombreuses, qui ont été excisées, et dont certaines vivent chez nous). Et tant pis aussi pour celles qui placent leur dignité et leur fierté ailleurs qu’entre leurs fesses.

Il me reste à espérer que, le 10 décembre prochain, une bite géante décorera la même Maison communale à l’occasion de la journée des droits de l’homme…

 

BLA BLA BLA fACEBOOK

Taisez vous

« Il faut », « Il ne faut pas » « c’est une honte » « les hommes » « les femmes » « l’écriture inclusive » « la ségrégation » « le vaccin » « les politiques » « je vous envoie les bénédictions de Dieu » « les étrangers » « les racistes » « les vrais écrivains » « ceux qui ne le sont pas » « les complots » « moi, je sais mieux que vous, et je vais vous expliquer, vous dire le vrai, vous critiquer, vous insulter à mots feutrés ou en termes grossiers » « je vous poste des photos de mes voisins, que je dénonce pour ceci ou cela » « d’ailleurs Camus, Sartre, Simenon, le pape, la Bible, le Coran le disent » « voici une superbe citation apocryphe de Newton, de Pascal ou de n’importe quelle célébrité, une citation bourrée de fautes d’orthographe, sur fond rouge ou noir ou bleu ou couleur caca d’oie » « polémiquons, polémiquons » « le diable emporte les végans, ou les carnivores » « mais que faites-vous donc pour la planète ? » « les flics, les casseurs, les gilets multicolores » « les mécréants, les naïfs, les crédules, les cathos, les juifs, les intégristes, les jeunes, les vieux, les homos, les intellos, les cons » « la gauche, la droite, les pouvoirs publics et surtout tous ceux qui ne pensent pas comme moi »…

FB est décidément la vitrine d’une connerie humaine qui, jadis, restait plus ou moins discrète, faute de moyens d’expression. Elle restait confinée (c’est le cas de le dire) dans le cercle familial ou au bistrot du coin. Aujourd’hui, elle s’étale, fait des adeptes, se répand comme la peste ou le (la ?) covid, fait et défait les présidents. Les réseaux pseudo sociaux se multiplient, ils se trouvent au centre de la communication politique, des armées de crétins bien-pensants ou, plus souvent mal-pensants, s’y expriment sans vergogne, s’insultent (en général sous couvert d’anonymat), se lancent dans d’interminables polémiques, dans de prétendus débats aussi stériles qu’inutiles, se justifient, s’expliquent, s’agressent, se répondent. On ne lit plus Balzac ni Zola (trop longs, et pleins de mots compliqués), ni Simenon que j’ai vu passer récemment, ni – comble de l’horreur – Musso, Lévy et consorts, ni même Harlequin. On n’a pas le temps, quand il y a ces milliers de messages qui sans trêve et sans jamais s’arrêter défilent sur tous ces écrans sans lesquels on ne peut plus vivre, messages de haine souvent, de bêtise, d’intolérance, de mépris. Une nouvelle forme de harcèlement fleurit, et des adolescents se suicident sans comprendre pourquoi une meute de chiens enragés les a choisis pour cibles.

Oui mais… Que fais-tu, toi, à publier ce texte sur FB si ce type de réseau est si abominable, me demandera-t-on, avec raison. Ceux qui me connaissent ou m’ont connue jadis le savent : j’ai longtemps proclamé que jamais, au grand jamais, je ne naviguerais sur aucun de ces canaux. Mais j’écris des livres (vous savez : ces objets constitués de pages couvertes de mots, sans images, que presque plus personne ne lit), ils sont édités, et j’aimerais qu’ils soient lus. J’aimerais que mon travail, mon éventuel talent si tant est que ce mot puisse être utilisé ici, soient connus à défaut d’être reconnus. Plus prosaïquement, j’aimerais aussi que quelques-uns d’entre eux s’achètent (ou se vendent, selon le point de vue), générant ainsi environ 6 % de ces droits d’auteur que certains éditeurs « oublient » de payer. Vous imaginez cela : 6 % de 20 euros. Faites le compte : 1,2 euro. Pour tout salaire d’un travail qui parfois prend des mois, des années. Même pas de quoi m’acheter des cigarettes, si je fumais.

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Alors, une de mes amies, une vraie en chair et en os, atteinte tout comme moi de cet étrange virus qui nous pousse à noircir du papier, à y poser des mots, des rêves, des sentiments, des joies ou des souffrances, à inventer des histoires, bref, un écrivain (non : pas UNE ÉCRIVAINE, n’en déplaise à mes « sœurs » féministes, mais un écrivain qui se trouve être une femme), cette amie donc, m’a expliqué que les réseaux, aujourd’hui, sont incontournables à qui veut faire connaître son nom, les titres de ses livres. Car la presse de chez nous parle davantage de ce qui s'édite à Paris, New York ou Tokyo que de ce qui paraît ici. Qui, d’ailleurs, lit encore les 4 pauvres pages du supplément littéraire de nos journaux ? Alors, oui, je « fais la pute » en publiant de temps à autre des photos des couvertures de mes bouquins, ou des extraits, ou des critiques. Ou en publiant des textes comme celui-ci, sur des sujets divers, en me disant que l’un ou l’autre facebookien capable de lire plus que 3 lignes aura, peut-être, envie ensuite de découvrir l’auteur que je suis, au travers cette fois de ses œuvres littéraires. On peut rêver…

Je le fais avec mauvaise conscience, avec parfois un certain mépris de moi-même. Avec colère, aussi, car écrire sur FB, cela prend un temps que je pourrais – que je devrais – consacrer à d’autres écritures. Même si l’étrange maladie dont je suis atteinte depuis très longtemps fait qu’écrire, en somme, c’est toujours écrire, et j’aime cela.

Où veux-tu en venir, avec tout ce bla-bla, me demandera-t-on encore. C’est vrai, je me suis sans doute un peu égarée. Revenons donc à mon propos initial : j’annonce à tous les donneurs de leçons qui s’obstinent à adresser à la foule de leurs « amis » injures, discours méprisants ou haineux, aprioris, jugements, malédictions et bénédictions divines, que je m’en vais les bannir de mes propres « amis » (qui bien sûr n’en sont pas, pour la bonne et simple raison que je ne les ai jamais rencontrés), les bloquer, les exclure. Qu’ils continuent à éructer sans moi leurs fatras de sentences marquées au coin de l’intolérance et de la bêtise, ou à tout le moins du sentiment de leur supériorité et de leur infinie sagacité. À répandre mensonges, propagande, prosélytisme, fausses vérités et contre-vérités historiques ou scientifiques, condamnations et anathèmes, sur une multitude de sujets dont en général ils ne connaissent… que ce qu’ils ont lu sur FB.

Ils ne me manqueront pas plus que je leur manquerai. Et je ne perdrai pas, en eux, le moindre lecteur potentiel, c’est évident.

 

La bête immonde

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J’ai vu sur LA DEUX, récemment, deux documentaires français, l’un à la suite de l’autre. Le premier, intitulé « Hitler est-il de retour ? » montrait la survivance du personnage et du nom d’Hitler (jeux vidéo, BD, films…), à la fois mythifié et humanisé, presque sympathique. D’ailleurs, il aimait les chiens, et un homme qui aime les chiens ne peut être fondamentalement mauvais. J’ai ainsi appris que dans certaines régions d’Inde, on peut acheter des T-shirts à son nom ou à son effigie et manger des crèmes glacées « Hitler ». Même si l’on sait que le svastika est d’origine indienne et remonte au sanscrit, la banalisation de la « marque » Hitler (sans référence ni même connaissance du nazisme ou de la Shoah…) laisse pantois.  

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Le deuxième documentaire, nettement plus terrifiant (« Les fachos vont-ils vraiment conquérir l’Amérique ? ») est une plongée de plus d’une heure au cœur de la haine et de la bestialité décomplexées, en un pays que l’on se plaît à désigner comme « l’un des États les plus puissants du monde », un pays dont la Constitution, en son premier amendement, autorise sans restriction aucune la liberté d’opinion et d’expression. Sans restriction ? Non, car certains propos restent interdits, tels l’obscénité, la diffamation, l'incitation à l'émeute, le harcèlement, les communications secrètes, les secrets commerciaux, les documents classifiés, le droit d'auteur et les brevets. Oui, vous avez bien lu : l’incitation à l’émeute est prohibée, mais l’incitation à la haine, au meurtre, au rejet de l’autre, est parfaitement légale. L’obscénité est interdite, certes, mais le racisme, le suprémacisme, l’apologie du nazisme, le salut hitlérien, le port d’insignes nazis, la tenue de meetings et de réunions publiques prônant ces « valeurs » ne sont pas considérés comme obscènes. De grandes croix de feu continuent donc d'enflammer la nuit en souvenir nostalgique de l’heureux temps de l’esclavage, et personne n’y trouve à redire. Des croix ! Pauvre Jésus, où que tu sois, tu dois frémir à ce spectacle. Et puisque dans ce beau pays de liberté (illuminant le monde, comme on sait, grâce au napalm, à Hiroshima, à Trump – que béni soit son nom à jamais ! – et à ces magnifiques croix kukluxclannesques déjà citées), le deuxième amendement assure la liberté de vendre, acheter et porter des armes, les « débordements » se multiplient.

Terrible documentaire. On y apprend qu’il existe aux States (et ailleurs dans le monde, soit dit en passant) une multitude de groupuscules suprémacistes blancs et d’extrême droite qui, dans la foulée de la consternante démagogie du America First de Trumpie (béni soit son nom à jamais !), se regroupent, fusionnent, s’exposent, militent. Anecdotique et folklorique, car les USA sont loin de nous, à tous points de vue, et que Ubu-Trump a tout d’une mauvaise caricature ? Certes pas. En effet, ces puantes « idées » racistes, antisémites, extrêmes droitistes, facho et ouvertement nazies se répandent partout ailleurs, du Canada à l’Europe. En Allemagne, en Italie, en Autriche, en Bulgarie, en Croatie, en Espagne, en Estonie, en Grèce, en Hongrie, en Pologne, pour ne citer que quelques-uns des pays de notre Vieux Continent, fleurissent des partis qui se revendiquent parfois explicitement de l’héritage nazi, et dont les scores électoraux sont loin d’être anecdotiques. Sans même parler de notre cher Vlaams Belang belge à côté duquel Bartje fait figure d’enfant de chœur, ni de la (re)montée sans fards ni complexes d’un antisémitisme qui ne se cache plus.Kosovo ok

C’est ici, chez nous. En France, à nos portes, au cœur de l’autoproclamée « patrie des droits de    l’Homme ». Cimetières profanés, insultes publiques, agressions, attaques de synagogues, au prétexte    du conflit israélo-palestinien ou d’autre chose. Les images du passé renaissent, les mêmes, et les    mêmes mots. La même haine. Car la Shoah, c’est si vieux, n’est-ce pas ? La guerre des Gaules, les    conquêtes napoléoniennes, 14-18, 40-45… Tout cela est passé, fini, enterré, oublié. C’est de l’histoire    ancienne, celle que d’ailleurs l’on n’enseigne plus. Vos grands-parents, pourtant, et leurs parents, l’ont    vécue, cette histoire. C’était ici, chez nous. « Interdit aux Juifs et aux chiens », c’était écrit sur les vitres    de certains commerces. La maison voisine de la vôtre était peut-être celle d’une famille juive qui fut    razziée, déportée, torturée, massacrée. Grands-parents, parents, enfants, bébés à naître. Non pas    parce  que ces gens étaient méchants, ni parce qu’ils avaient commis quelque forfait. Non, simplement    pou r ce qu’ils étaient. Des Juifs. Des êtres humains cependant, mais que l’on pouvait haïr impunément    et  sans honte, puisque tout le monde le faisait. Puisque c’était permis, encouragé. Il y avait d’ailleurs    sûrement une bonne raison à cela car, en somme, il n’y a pas de fumée sans feu…

On s’en fiche, me direz-vous, c’est si loin, ces histoires. Certes. Mais elles recommencent. Et je n’ose imaginer le succès encore plus fulgurant qu’aurait connu le Führer si, en son temps, Facebook et ses consorts avaient existé. Aujourd’hui, ils sont là, ces réseaux prétendûment « sociaux », et la haine, la bêtise, l’inculture et l’ignorance (qui souvent vont de pair avec la violence et le rejet de l’autre), le racisme, la xénophobie, y prolifèrent.

La bête immonde continue de ramper sur le sol de notre planète dévastée par sécheresse, pollution et autres catastrophes qui n’ont rien de naturel. Elle relève la tête. Elle s’appelle toujours antisémitisme, mais aussi racisme, suprémacisme, peur et dégoût de l’étranger, de l’immigré ; après tout, qu’ils restent crever chez eux, tous ces basanés, qu’on les rejette à la mer, ça fera de l’engrais pour les poissons, chacun chez soi, que diable, et les vaches seront bien gardées. Inde ok

  Voulez-vous que je vous dise ? L’humanité n’évolue pas. Elle ne progresse pas, sinon dans la violence et la veulerie, dans la barbarie. Nous sommes pires que nos anciens car nous, nous savons. Nous les     voyons mourir et se noyer à nos portes, ces enfants à la peau brune ou noire. Nous les voyons chaque   jour sur les écrans de nos smartphones périr sous les bombes, crever de faim, errer dans les ruines, hurler de peur et de douleur. Nous voyons ces dessins de croix gammées sur les trottoirs de      nos villes,   comme avant, et ces cortèges carnavalesques alostois qui donnent la nausée. Nous savons que c’est  ainsi que tout a commencé il n’y a pas si longtemps, que tout recommence, toujours et pour toujours.   Contrairement à nos parents, à nos grands-parents, NOUS SAVONS. Et tout le  monde s’en fout. Tant   que moi, je suis au chaud, tranquille, dans ma confortable demeure au frigo bien garni, pourquoi voudriez-vous que m’importe le sort de ceux qui meurent aujourd’hui, là-bas, ailleurs, ou devant ma porte ? Pourquoi me soucierais-je du racisme, moi qui ai la peau claire ? Qu’ai-je à faire du sort des Juifs, moi qui suis goy ? Ou de celui des migrants qui n’avaient qu’à rester chez eux, ou de celui des   SDF qui, certainement, ont mérité leur déchéance ?

Un jour, pourtant, je serai peut-être de leur nombre. Car mes parents, mes grands-parents, ont été des fuyards eux aussi, des exilés. Les vôtres ont été persécutés peut-être. Ils ont eu faim, ils ont connu la misère. Et la guerre. Elle a tenté de les dévorer, la bête immonde, et c’est grâce à un peu de solidarité humaine qu’ils ont pu lui échapper. Un peu de cette solidarité qui, aujourd’hui, est entrée en agonie. La fin est proche.

Char ok

 

L’AFFAIRE

Polanski

QUAND L’AFFAIRE DREYFUS DEVIENT L’AFFAIRE POLANSKI

Roman Polanski est un vieux monsieur de 86 ans. C’est aussi l’un des meilleurs réalisateurs des 20ème et 21ème siècles. Il avait 43 ans lorsqu’il a commis en 1977 le viol (ou « relation consentie » selon sa version) d’une une ado de 13 ans. On peut supposer qu’il s’est amendé depuis le temps lointain du LSD, de toutes les licences et du meurtre atroce de son épouse Sharon Tate, alors enceinte de 8 mois, par la secte Manson. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas ici d’excuser le viol de la jeune Samantha Geimer, ni de minimiser un tel acte. Mais quel rapport entre l’individu de 43 ans qui l’a commis et le cinéaste de 86 ans qui aujourd’hui réalise « J’accuse » ? Quel rapport entre l’éventuelle noirceur de l’homme et le génie ou le talent de l’artiste ? Quel rapport entre la volonté de vouloir interdire la diffusion d’un tel film, et le dérèglement sexuel (ancien) de son auteur ?

Les autres accusations de violences sexuelles dont il est l’objet n’ont jamais été jugées, ni avérées. Pour ce que j’en sais, la Justice privilégie par essence la présomption d’innocence. Mais la vindicte populaire, dont on sait ce qu’elle vaut, en juge autrement. Tant qu’à chasser les sorcières et à les vouer au bûcher, comment se fait-il d’ailleurs que Woody Allen (un autre génie du cinéma) se trouve relativement préservé ? L’inceste (présumé) serait-il moins grave que le viol ? Et à quand l’interdiction des chansons de Michael Jackson ou, mieux, la destruction de ses disques et CD en un magnifique autodafé ?

Céline était un abominable antisémite, auteur de textes immondes. Il est pourtant l’un des plus grands écrivains français, et personne ne lui conteste ce titre, d’ailleurs reconnu par sa publication dans La Pléiade. Gabriel Matzneff s’est toujours affirmé, dans son oeuvre comme dans les médias, comme « pédéraste », revendiquant son goût pour « l'extrême jeunesse, celle qui s'étend de la dixième à la seizième année » (sic), ce qui ne lui a jamais valu de procès, que je sache, et ne l’a pas empêché d’être publié chez Gallimard, et souvent invité sur les plateaux de télé où il expliquait sans pudeur que les très jeunes filles qu’il séduisait ( ?) aimaient cela. Idem pour Roger Peyrefitte qui, dans son roman autobiographique « Notre Amour », raconte avec moult détails sa relation avec un jeune garçon de 12 ans qu’il initie à « l’amour grec ». Quant à Sade, ses écrits prétendument géniaux exaltent le viol, la violence, la contrainte, le mépris de la femme (tout en étant très mal écrits, à mon humble avis). Les exemples d’artistes sulfureux et immoraux mais reconnus et admirés (à tort ou à raison) pour leur talent réel ou prétendu sont légion, de Gide à Montherlant en passant par Frédéric Mitterrand et bien d’autres. Et ne citons que pour mémoire le prix Nobel André Gide, « immoraliste » et « pédéraste » selon ses propres termes.

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Rappelons aussi qu’en 1973, l’écrivain Tony Duvert recevait le prix Médicis pour son roman « Paysage de fantaisie » qui met en scène des jeux sexuels entre adultes et enfants. Dans « L'Enfant au masculin » paru aux éditions de Minuit en 1980, il se vantait d’avoir eu des relations sexuelles avec plus de 1000 garçons, dont les plus jeunes étaient âgés de 6 ans. Son œuvre riche de quelque 25 ouvrages prônait ouvertement la pédophilie, sans avoir pour autant suscité la moindre réaction hostile.

Rappelons encore que, dans les années 70-80, de nombreux auteurs se déclaraient eux-mêmes pédophiles sans honte ni vergogne, et surtout sans crainte de se voir sanctionnés. Le journal Libération a publié, en ces années-là, plusieurs articles ou tribunes valorisant la liberté d’aimer des enfants, de toutes les manières. Le Monde et Libération ont publié en 1977 (précisément l’année du viol commis par Polanski) une pétition contre la notion de majorité sexuelle, et une autre en soutien à trois individus condamnés en assises pour avoir commis des attentats à la pudeur sur mineurs, pétition signée par de très grands noms de la littérature et autres peoples, parmi lesquels (notamment) Aragon, Gille Deleuze, Bernard Kouchner, Jack Lang, Sartre… On peut y lire que « Si une fi​​lle de 13 ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire ? » (re-sic). Treize ans : précisément l’âge qu’avait, cette année-là, la victime du viol perpétré par Polanski.

Bien sûr, loin de moi l’idée d’absoudre ou de banaliser le viol ou toute autre forme de violence sexuelle (ou non sexuelle), surtout quand ces violences touchent des enfants. Mais ce qu’a commis le réalisateur cette année-là, de très nombreux autres hommes l’ont commis également, à la même époque, et la société de ce temps, qui pourtant n’est pas si éloigné du nPolanski1ôtre, considérait ce genre d’actes avec plus que de l’indulgence. On connaît l’adage : autre temps autre mœurs. Et je me souviens de Gainsbourg et de son Lemon Incest, des posters de David Hamilton qui ornaient toutes les chambres d’adolescentes au temps de sa gloire ; je me souviens du merveilleux « Lolita » de Nabokov et de celui de Kubrick, de « La mort à Venise » de Thomas Mann et du film éponyme de Visconti…

Empêcher Polanski de travailler, tenter d’interdire son film, le boycotter, le lyncher médiatiquement, rien de tout cela ne fera le moindre bien à Samantha Geimer ni à aucune autre victime d’abus. Que la Justice juge, et elle seule, qu’elle condamne ou acquitte ; ce n’est pas à nous, ni à vous, ni à la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP), ni à la presse, ni à la rue, ni aux réseaux dits sociaux qu’il revient de trancher, et moins encore de punir.

​​​Quant à moi qui admire les artistes que sont Zola et Polanski, en ces temps d’antisémitisme re​​naissant, je compte bien aller voir « J’accuse ». Et j’espère qu’aucun attentat ne déclenchera d’incendie dans la salle de cinéma comme ce fut le cas en 1988 lors de la projection du film de Scorsese, « La dernière Tentation du Christ », dans lequel cependant il n’était pas question de pédophilie. Pas plus d’ailleurs que dans « J’accuse ».

Burkini ou pas burkini ?

Debat le burkini en deux points de vueY en a qui ont vraiment du temps et de l'énergie à perdre… 

Notre jolie petite planète bleue avec tout ce qui l'habite, hommes et bêtes, se trouve menacée. Les océans débordent, les tremblements de terre et les incendies se succèdent, les inondations se multiplient. Paraît que ce n'est que le début. Nos descendants ne vont pas rire tous les jours. Je parle de ceux qui survivront, bien sûr. Pour les autres, le problème sera réglé.
Comme si tout cela ne suffisait pas, la guerre partout se répand. La faim et la misère, la tyrannie et l'intolérance, le fanatisme et la barbarie chassent de chez eux des hordes de pseudo-migrants qu'on rechigne à appeler « réfugiés ». Ils s'entassent sur des rafiots innommables et s'en viennent mourir au large de nos rivages de soleil. Nous avons tous vu ces images d'enfants, de bébés même, que la mer vient déposer sur nos plages. Ceux qui arrivent quand même en terre d'Europe se trouvent aussitôt parqués dans d'invraisemblables camps qui feraient hurler Brigitte Bardot et tous les défenseurs des animaux si c'étaient des vaches, des chevaux ou des cochons que l'on y hébergeait. Mais il ne s'agit que d'êtres humains, quelque peu exotiques de surcroît : aucune raison donc de se scandaliser. Des murs s'élèvent aux frontières des pays dits civilisés, tout hérissés de barbelés et de tessons de verre. Dans ces pays, d'ailleurs, tout n'est pas rose non plus. La précarité (qui est le nom politiquement correct que désormais l'on donne à la pauvreté) se généralise. Des miséreux de plus en plus nombreux zonent dans les rues des villes. Des maladies anciennes ressurgissent, liées au dénuement, à la sous-alimentation, au manque d'hygiène, tandis que des pathologies nouvelles apparaissent, nées de nos modernes modes de vie. Des gamins fanatisés par d'imbéciles et criminels prêcheurs se font exploser dans les aéroports et les gares pendant que d'autres font de même en ces lieux de perdition que sont les salles de spectacles ou les terrasses de cafés, au nom d'un dieu absurde qui, s'il existait, devrait foudroyer sur place ces malheureux et ceux qui les instrumentalisent.
En Afrique, les régimes tyranniques et ubuesques se succèdent. Des armées d'enfants (souvent drogués au chanvre) massacrent, violent, éventrent femmes et fillettes. Le racisme prend là-bas le nom de tribalisme, et la terreur colonise de vastes territoires peuplés de fantômes. La famine décime des régions entières.
Ailleurs, les populations syriennes meurent littéralement de faim, ou sous les bombes turques ou américaines, quand elles ne sont pas massacrées par l'état islamique ou par les sbires de Bachar El Assad. Ailleurs encore… la liste est trop longue pour que je la poursuive ici.
Pendant ce temps, les politiciens de chez nous se délectent de ces malheurs qui leur offrent mille occasions de s'exprimer et de prendre, dans les médias et sur les réseaux sociaux, les positions populistes qui attirent les électeurs. Je les écoute – bien obligée, car ils sont partout – et je me dis que lorsque Trump sera président des États-Unis, et que Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy gouvernera la France, il ne me restera plus qu'à émigrer vers la planète Mars. Un moment j'ai envisagé le Congo, qui est un peu mon pays, mais la situation n'y est certainement pas meilleure qu'ici.
Heureusement, de vrais sujets de débats surgissent de temps à autre, qui nous permettent de réfléchir à l'essentiel tout en offrant à nos dirigeants de nouvelles raisons de s'agiter, de légiférer, de faire campagne. Le dernier en date est le problème du burkini.
Car voilà une question fondamentale, vraiment, et il était temps qu'on la prenne à bras le corps (si j'ose dire) : peut-on, sur NOS plages bientôt vidées par l'automne qui arrive, autoriser que des femmes s'étendent sur NOTRE sable doré et même – comble d'horreur – fassent trempette dans les vagues de NOTRE mer, devant NOS enfants, sans dévêtir comme il se doit leur anatomie ? Ne savent-elles donc pas que le culte du dieu-soleil est aussi ancien que l'humanité, bien antérieur en tout cas à celui d'Allah ? Quel scandale, n'est-ce pas, que d'apercevoir au milieu de milliers d'estivants plus ou moins dénudés, l'une ou l'autre jeune fille arborant quelque chose qui ressemble à une tenue de surf ou de plongée ? Si encore elles faisaient du surf, justement, ou de la plongée, on comprendrait. Mais non, elles sont là, assises sur une serviette de bain, à regarder le large. Par moment, l'une d'entre elles se lève, s'avance vers les flots, y trempe un pied avant d'y plonger tout entière et de se livrer aux joies du crawl ou de la brasse. Il était urgent de réagir, et nos amis français qui ne sont jamais en retard d'un combat ridicule ont vu certains de leurs élus prononcer des arrêtés contre ces fauteuses de troubles. On a même vu des flics armés (car on n'est jamais trop prudent) s'en prendre à une innocente vacancière qui avait dissimulé sa chevelure sous une étoffe sans aucun doute islamique. À moins, bien sûr, que ce fût pour se protéger des rayons d'un soleil particulièrement agressif par ces temps de canicule. Comment savoir ?
Et Manuel Valls de s'agiter au nom de la nouvelle religion d'État qui domine la France, la sacro-sainte laïcité, suivi chez nous par la NVA, moins laïque mais plus extrémiste.
Moi, je voudrais bien que l'on m'explique. Depuis quand une tenue de surf ou une robe longue constituent-elles des signes religieux ostentatoires ? Quand bien même tel ou tel attribut vestimentaire serait-il "ostentatoire", où serait le mal ?
St vincent

Elle n'est pas si loin, l'époque où les cornettes des petites sœurs de pauvres se croisaient dans nos rues, ni le temps de nos curés en soutane et de nos missionnaires (barbus) en longues robes blanches.

Pere blanc

Et même si ces nouvelles manières de se vêtir (ou de rester habillé) en des lieux où par tradition l'on se dévêt sont motivées par des croyances religieuses, en quoi est-ce choquant ? En ce qui me concerne, vous pouvez vous habiller comme vous l'entendez (sauf à cacher votre visage, bien sûr), et afficher tous les signes religieux que vous voulez, à l'instar de Madonna qui naguère arborait des crucifix en pendentifs et en boucles d'oreille : je m'en moque complètement. Comme je me moque des tatouages (parfois religieux) qui ornent les torses et les bras de tant de mâles, sur nos plages et ailleurs. 

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​Croyez ce que vous voulez, priez qui vous voulez, habillez-vous ou déshabillez-vous comme bon vous semble, portez au bout d'une chaîne une petite croix d'or, une main de Fatima, un croissant, une étoile de David ou autre chose, cela m'indiffère. Cachez vos chevelures sous toutes sortes de voiles, de foulards, de kippas ou de n'importe quoi. Je n'en ai rien à cirer. Tant que vous ne m'obligez pas à faire de même. Tant que vous m'autorisez à croire autre chose ou à ne rien croire du tout. Tant que vous acceptez ma religion (ou mon absence de religion) comme aussi digne et respectable que la vôtre. Car il me semble, que c'est cela, la « laïcité » dont nos voisins français se gargarisent au moins autant qu'ils le font de leur revendication à se présenter comme « le pays des droits de l'homme ». Même s'il est vrai que cette laïcité et ces droits de l'homme sont nés dans une Terreur qui n'avait rien d'islamiste, à l'époque, et dans le sang de milliers de prêtres, de religieuses et de nobles, après qu'on eut joyeusement décapité le roi et la reine. Si, si, je vous assure : c'est cela, les droits de l'homme. Bon, d'accord, c'était il y a deux siècles et demi. Mais, quand même… il est nécessaire, quelquefois, de se souvenir de l'histoire, cette fameuse Histoire de France que François Fillon voudrait réinventer dans les écoles : "Si je suis élu président de la République, je demanderai à trois académiciens de s'entourer des meilleurs avis pour réécrire les programmes d'Histoire avec l'idée de les concevoir comme un récit national", car "le récit national c'est une Histoire faite d'hommes et de femmes, de symboles, de lieux, de monuments, d'événements qui trouve un sens et une signification dans l'édification progressive de la civilisation singulière de la France".

Tout cela nous éloigne un peu du Burkini. Sans doute parce que ce sujet ne vaut guère que l'on s'exprime longuement, son seul mérite résidant dans le fait que toute cette vaine agitation masque le manque total de vraie réflexion sur les vrais problèmes qui se posent aujourd'hui, innombrables et cruciaux.​

 

Lettre à une étudiante

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Atterrée, j'ai trouvé sur la page face book de l'une de mes étudiantes une vidéo aberrante provenant de la télé italienne, dans laquelle un fumiste nommé Guiletto Chiesa profère un fatras d'inepties sur les événements de France, mêlant la théorie du complot à toute une série de propos confus mais violents. Plus grave, cette vidéo est assortie d' « articles connexes » qui sont autant de films extrêmement choquants, émanant de ce qui me semble être une source extrémiste sinon islamiste. J'ai réagi, évidemment, et je voudrais reprendre ici le message que j'ai envoyé à cette étudiante, afin que d'autres puissent le lire et y réfléchir.

« Quand j'étais ton prof, j'ai tenté de t'enseigner la littérature, bien sûr, la philo, mais aussi et surtout, j'ai essayé de dégager dans tout cela la part d'humanité et même d'humanisme qui nous différencie des bêtes sauvages. Rappelle-toi Camus : "diminuer arithmétiquement la souffrance du monde". Massacrer des flics, des dessinateurs, des juifs parce qu'ils sont juifs, c'est faire le contraire. RIEN ne peut justifier le meurtre et la violence : aucune idéologie, aucune religion, aucune philosophie. RIEN. Comme le disait Camus, c'est l'inverse qu'il faut faire : essayer de mettre un peu d'humanité et de solidarité dans toute cette merde. Et cela dans la lucidité, c'est-à-dire en sachant que la souffrance et le malheur subsistent, à la fin. Mais la toute petite part de souffrance que l'on a pu diminuer, c'est déjà une victoire. J'ai aussi tenté de vous apprendre ce qu'est l'esprit critique (rappelle-toi les "dossiers-presse", notamment). Te voir diffuser des vidéos comme celle-ci, cela me désespère car cela m'amène à penser que je n'ai pas réussi à te faire comprendre tout ça, que j'ai donc mal fait mon boulot d'enseignante dans ce cas précis… Où est-il, ton esprit critique ? La théorie du complot est totalement ridicule et mensongère, aussi bien pour le 11 septembre qu'ici. Et quand bien même la CIA serait aussi universelle que le proclame le sinistre crétin dont tu as diffusé la vidéo, je ne vois pas en quoi cela pourrait justifier ni expliquer ce qui s'est passé à Paris, ce qui se passe chaque jour au Nigéria et ailleurs en Afrique et dans le monde, notamment dans le monde musulman. J'ajoute que les "articles connexes" à ton post, émanant de halalbook.fr sont absolument… choquants (pour ne pas employer un terme plus grossier). Au nom de la liberté de pensée et d'expression à cause de laquelle les dessinateurs de Charlie Hebdo (un magazine que je n'ai jamais apprécié, bien au contraire, je le dis en passant, mais un magazine qui avait le droit d'exister), ces gens-là ont certes le droit de penser ce qu'ils veulent, même des conneries, et le droit de s'exprimer (tant que ce n'est pas pour appeler à la haine, ce qui est contraire à la loi). Et moi, j'ai le droit de refuser de les lire et les écouter davantage, même si leurs productions puantes sont diffusées par l'une de mes étudiantes, que j'aimais .
Réfléchis un peu, ressaisis-toi, et ne te fais pas le porte-parole du mensonge, de la bêtise, de la mauvaise foi (ici, c'est évidemment à Sartre que je pense). Surtout, surtout, ne te fais jamais le porte-parole de la violence et de la haine. Chacun croit ce qu'il veut, chacun peut avoir ses idées sur n'importe quel sujet. Mais je t'en prie, que tes idées, tes croyances, tes jugements, ne bifurquent pas vers l'incitation ou la justification de la violence et même du meurtre. Les gens qui ont été tués (ce que rien ne peut justifier, je le répète), ils avaient des enfants, tout comme toi, ils avaient une famille… Si nous essayions plutôt de diminuer arithmétiquement la souffrance du monde ? Cela ne se fait pas avec une Kalachnikov, ni avec des propos aussi absurdes qu'agressifs et haineux. »

To be or not to be Charlie ? – Les larmes du Prophète

Dessins monde entier charlie hebdo na Un journal existait, que je n'aimais pas beaucoup, tout comme je n'avais pas aimé son prédécesseur Hara-Kiri. Parce que je n'apprécie ni la vulgarité ni la provocation gratuite. Ni la gaudriole exacerbée. Ni l'humour potache, ni la mise en scène d'obsessions scabreuses. Question de goût. Du temps que mes parents étaient libraires, j'ai quelquefois feuilleté ces magazines, l'un puis l'autre, et aussi à l'occasion de certains événements particuliers. Sans plaisir, en général, même si quelques-uns de leurs dessinateurs avaient un vrai talent, tel Cabu dont « Le grand Duduche » avait fait mes délices il y a longtemps, si longtemps. Trop longtemps.
Il existe bien des organes de presse, bien des romans aussi, et des films, et des idées politiques, et des positions philosophiques, et même des croyances prétendument religieuses, et bien d'autres choses encore, que je n'apprécie pas, auxquelles je n'adhère pas. Comme il existe des gens que je trouve tout à fait déplaisants. Ces gens-là, je ne les fréquente pas. Je m'efforce de ne pas les croiser, de les rencontrer le moins possible, mais je ne m'empare pas d'une arme pour les tuer. De même, ces revues, ces magazines, ces livres, ces films, je ne les achète pas, je ne les lis pas, je ne les regarde pas. Les idées qui me semblent fausses ou dangereuses, je les combats par la parole, par l'écriture. Je les combattrais par le dessin si je savais dessiner. Ou je les ignore. C'est ainsi qu'il faut faire, quand quelque chose ou quelqu'un ne nous plaît pas, pour de bonnes ou de mauvaises raisons : on l'évite ou on le conteste.
Je conçois volontiers que tout le monde ne partage pas mon avis. J'admets que d'autres aiment des gens que moi, je juge imbuvables. J'accepte que quelques-uns de mes contemporains aient d'autres goûts que les miens, d'autres idées que les miennes, d'autres croyances et d'autres refus, d'autres moyens d'expression… J'avoue d'ailleurs que certains des dessins de Charlie Hebdo m'ont fait rire et, quelquefois, m'ont amenée à réfléchir. Grossiers parfois, vulgaires souvent, provocateurs presque toujours, mais talentueux, aucun doute là-dessus. Et l'outrance et la caricature ont au moins le mérite de mettre en lumière certains ridicules, certaines hypocrisies, certains travers de notre société. Dénoncer ces travers par le biais de l'humour, même si cet humour n'est pas toujours de bon goût, c'est quand même beaucoup mieux que le faire par la violence, qu'elle soit verbale ou physique, ou par le meurtre.
Les gars de Hara-Kiri et de Charlie Hebdo, c'étaient des sales gamins qui n'avaient pas su grandir. Des adolescents prolongés, des soixante-huitards attardés, des anarchistes sans bombes. Ils n'avaient pas tort sur tout. Ils n'avaient pas non plus raison sur tout. Bien sûr, j'avais le droit de ne pas aimer ce qu'ils publiaient, tout comme j'ai le droit, aujourd'hui, de le dire. Mais ils avaient le droit, eux, de s'exprimer à leur façon, bonne ou mauvaise, et le public avait le droit de les lire, de les admirer ou de les rejeter, de les critiquer. Surtout, ils avaient le droit de vivre.
Sarkozy, pour ne pas varier dans ses habitudes, y est allé de son petit couplet sur la civilisation et la barbarie. Qu'est-ce donc que la civilisation, me suis-je demandé ? Qu'est-ce qui la distingue de cette barbarie sauvage qui conduit deux individus à massacrer des hommes dont le seul tort est de publier des dessins satiriques, pendant qu'un troisième s'en va tuer du juif pour la simple raison qu'il est juif ? Pourquoi ne pas tuer du noir parce qu'il est noir, de l'indien parce qu'il est indien, de l'arabe parce qu'il est arabe, du flamand, du wallon, du jeune, du vieux, du blond, du roux, du n'importe quoi ou du n'importe qui, juste parce qu'il est ce qu'il est ? Du flic parce qu'il est flic, par exemple, même s'il se prénomme Ahmed et qu'il est musulman.
Massacrer des êtres pour ce qu'ils sont : voilà une idée qui n'est pas neuve, et qui a connu déjà un certain succès en bien des lieux. En Arménie au début du vingtième siècle, dans toute l'Europe dans les années 40, au Rwanda dans les années 90, au Cambodge, en Tchétchénie, en Bosnie… et la liste n'est pas exhaustive. Comme quoi la barbarie n'a pas de couleur, pas de nationalité, et moins encore de religion. La France elle-même, qui aime tant à se définir par « les valeurs de la République » et se définir comme « la patrie des droits de l'homme » devrait se souvenir qu'elle s'est construite, cette république, sur un bain de sang que l'Iran des Ayatollah n'eût pas renié. Combien de gens coupés en deux au terme de pseudo procès, pour la seule raison qu'ils étaient prêtres ou portaient un nom à particule ? C'était il y a plus de deux siècles, me direz-vous. Certes. Vichy, par contre, et le Vel d'Hiv, c'est plus récent. Tout comme l'Allemagne nazie. Croyez-moi, nul n'est à l'abri, nul ne peut se proclamer juste ou pur. Les victimes d'hier sont quelquefois les bourreaux d'aujourd'hui. La barbarie nous guette tous, elle sommeille en chacun de nous. C'est là qu'il faut la combattre d'abord, et ce combat-là, peut-être est-ce seulement ce que l'on appelle la civilisation qui peut le mener.
Qu'est-ce donc que la « civilisation » ? me demanderez-vous. Sans doute existe-t-il bien des manières de la définir. Il me semble, quant à moi, que l'un de ses aspects essentiels réside dans le respect des lois (des lois justes, s'entend). Dans le respect des droits de l'homme en général, et dans le respect de ce que l'on appelle (et ce n'est pas un hasard) « LE droit ». Or l'un des droits fondamentaux de tout pays civilisé, c'est-à-dire de tout pays démocratique, sous quelque latitude qu'il se situe, est bien la liberté d'opinion et d'expression, qui ne peut évidemment être dissociée de la liberté de la presse. Un organe de presse ou même un particulier doivent jouir de la liberté totale et absolue de s'exprimer, pour autant qu'ils restent dans le cadre de la loi. Ce sont les tribunaux qui ont à intervenir lorsqu'un journaliste, un artiste, un simple citoyen, publient (même si ce n'est « que » sur face book) des textes ou des images contraires à la loi, tels des propos racistes ou constituant une incitation à la haine ou au meurtre. Et j'en ai vu beaucoup, de ces jours-ci, bien plus graves et dangereux que les dessins de « Charlie ».
Vous n'aimez pas Charlie Hebdo ? Fort bien, je ne l'aime pas non plus. Faites donc comme moi : ne l'achetez pas. Vous le jugez choquant, insultant, blasphématoire par rapport à ce qui constitue VOTRE code de conduite, votre orientation philosophique, vos croyances religieuses ? Vous en avez le droit, et je puis vous comprendre. Vous estimez que tel ou tel de ses collaborateurs va vraiment trop loin ? Déposez plainte contre lui, et laissez les tribunaux faire leur travail. Mais dans la mesure où ce que vous appelez « blasphémer » ne constitue pas une invitation à la haine et à la violence, dans la mesure où la caricature vise à faire rire ou à choquer et non à pousser les gens à s'emparer d'un fusil, je crains que ces plaintes restent lettres mortes, et c'est bien ainsi.
Pas de sanction judiciaire en effet pour le blasphème, car le blasphème (Grâces en soient rendues à Dieu qui peut-être n'existe pas) n'est pas un délit au sens juridique du terme. Quoi de plus logique, puisque la croyance et l'appartenance à une religion sont du domaine privé ? Si chacun est parfaitement libre d'adhérer à la religion de son choix et de la pratiquer comme il l'entend, il n'en reste pas moins que son voisin de palier, son camarade de classe, son charcutier ou son médecin adhèrent peut-être, pour ce qui les concerne, à une autre religion, ou bien se rangent parmi les athées ou les agnostiques. Comment un chrétien pourrait-il se rendre coupable de blasphème contre l'Islam, puisque telle n'est pas sa religion ? Comment un athée pourrait-il blasphémer le Christ, puisqu'il n'est pas chrétien ? Si je m'en réfère au Grand Robert de la langue française en 9 volumes, je découvre en effet que le blasphème est une « parole qui outrage la Divinité, la religion, le sacré ». Littré et le dictionnaire de l'Académie française vont dans le même sens. Il découle de cette définition que nul ne peut outrager une Divinité qui pour lui n'existe pas, une religion à laquelle il ne croit pas ; ce qui revient à dire qu'un incroyant, par définition et par essence, ne peut se rendre coupable de blasphème. Tuer le prétendu blasphémateur revient tout simplement à tuer celui qui ne pense pas comme moi, celui qui ne croit pas ce que je crois. La voilà, la barbarie. Si Sartre vivait aujourd'hui, lui qui considérait toute forme de religion comme une manifestation de mauvaise foi (propos blasphématoire s'il en est), peut-être aurait-il été tué, lui aussi…
Quant à la notion de sacré, elle est plus floue encore. Pour un athée, il n'est rien de sacré dans la religion, que d'ailleurs il perçoit peut-être comme une absurdité ; pour un agnostique, rien non plus de sacré dans l'éventualité de l'existence d'un Dieu sur lequel il s'interroge. Pour ceux-là, cependant, seront peut-être sacrés leur patrie, leur famille, l'enfant à naître, leur mère, la vie elle-même, que sais-je encore ? Autant d'objets potentiels de blasphème.
Et quand bien même le blasphème existerait et correspondait à quelque chose de réel, de définissable, d'explicable, quand bien même serions-nous tous croyants et pratiquants de la même religion (horrible perspective, en vérité !), ce prétendu délit mériterait-il la mort ? Dieu, s'il existe, n'est-il donc pas capable de se défendre tout seul, de châtier lui-même ceux qu'il voudrait punir ? Qu'est-ce que donc que cette croyance fanatique qui ose prendre sa place, celle de Dieu, qui ose juger en son nom, massacrer des gens dont la seule faute est de penser « mal » ? C'est à vous dégoûter de toute forme de religion ! Et je ne cite que pour mémoire l'humour et l'ironie involontaires qu'il y a dans le fait de sans cesse associer le nom du prophète de l'Islam à l'expression « le très miséricordieux », alors même que l'on tue, que l'on massacre, que l'on invite à la haine en son nom. Et je ne me limite pas ici aux 12 morts de Charlie Hebdo ; je pense aussi aux milliers de victimes de l'État Islamique en Syrie et ailleurs, à celles de Boko Haram au Nigéria… Belle miséricorde, en vérité ! Ils n'ont pas tort, les survivants, de l'avoir représenté en larmes avec à la bouche les mots d'un pardon bien nécessaire. Car il a de quoi pleurer, certes, le Prophète, et depuis longtemps. Tout comme le Christ a trop souvent eu de quoi pleurer lui aussi devant les croisades, les bûchers de l'Inquisition, les guerres de religion, la Saint-Barthélémy… Reste à espérer que, prophète ou messie, ils pourront pardonner tout cela à ces fous furieux fanatiques qui se réclament d'eux, à ces « fous qui n'ont ni couleur ni religion » comme l'a proclamé devant les caméras le frère d'Ahmed Merabed. Car le vrai blasphème, le seul sans doute, c'est là qu'il se situe : dans le meurtre commis au nom de Dieu, quelle que soit la manière dont on l'appelle ou la langue dans laquelle on l'invoque.
En ce qui me concerne, je ne suis ni prophétesse ni sainte et, je le reconnais, je conçois mal la possibilité d'un pardon face aux flots de sang qui depuis toujours noient la terre au nom de Dieu.
Mais je m'égare. Revenons à Charlie Hebdo que je n'aime pas plus aujourd'hui qu'hier. Ce qui ne m'empêche pas de proclamer, moi aussi, que « je suis Charlie ». Car je suis un être humain doué de raison, je suis une citoyenne libre de penser et de s'exprimer, même si ma façon de penser et de m'exprimer peut en choquer certains.
Je veux pouvoir continuer de vivre dans un pays et une civilisation où ces droits existent. Je veux rester libre. Voilà pourquoi, aujourd'hui, « je suis Charlie ». Parce que je suis ce qui refuse toute entrave à sa liberté et à son intégrité. Je suis ce qui persiste à respecter l'autre, l'étranger, celui qui ne pense pas comme moi, celui qui ne prie pas comme moi, celui qui ne s'habille pas comme moi, ne parle pas la même langue que moi, ne partage pas mes coutumes. Je suis ce qui se relève quand on l'a jeté à terre, je suis la voix qui s'élève après avoir été muselée. Je suis ce qui survit et se révolte. Je suis tout cela, que l'on a voulu tuer le 7 janvier 2015, en plus d'avoir exécuté sauvagement des êtres de chair et de sang qui jamais n'avaient porté les armes, ni incité quiconque à partir en guerre.

 

Cachez ce sein...

Mais non, je ne m'appelle pas Tartuffe. Mais j'aimerais quand même que quelqu'un m'explique un jour en quoi se dépoitrailler (par ces temps de frimas…) constitue un acte de militantisme pour quelque cause que ce soit. Voir sur tous les écrans de télévision, à la une des magazines, un peu partout sur le Net, des femmes (le plus souvent jeunes et jolies certes) exhiber agressivement leurs seins décorés de slogans illisibles, tout cela ne me donne guère envie de me rallier à leur cause, ni même de me renseigner sur ladite cause. Féminisme ? Liberté d'expression ? On me dit qu'il s'agit de défendre les droits des femmes et la démocratie, de lutter contre la corruption, la prostitution, la religion…

Femen En quoi, je vous le demande, l'exhibition de quelques tétons plus ou moins charnus constitue-t-elle une manière de promouvoir la démocratie ou de lutter contre la prostitution ?

Tout cela me paraît aussi ridicule qu'excessif. Et inutile de surcroît, en tout cas s'il s'agit de servir une cause. S'il est question d'attirer l'attention sur soi en dévoilant ses charmes, c'est autre chose. C'est d'ailleurs ce que font très bien les prostituées, justement, dans les jolies vitrines au néon du quartier de la Gare du Nord.

Proclamer et afficher sur toutes sortes de supports les slogans les plus divers, exprimer ses idées sur une multitude de sujets, militer pour ceci ou contre cela, ameuter la presse, défiler dans les rues, mon Dieu, pourquoi pas ? Tout cela relève, en effet, de la liberté d'expression et de la démocratie. Je ne suis pas certaine par contre que l'exhibitionnisme ou le naturisme (et nous n'en sommes pas loin dans le cas présent) relèvent de la même liberté d'expression, sauf à pratiquer ce naturisme en des lieux prévus pour cela, afin de ne choquer personne. Mais nous sommes loin ici de la communion avec la nature, de plaisir que l'on peut avoir à ressentir sur tout son corps la caresse toute platonique du soleil et du vent de l'été…

Ne choquer personne. C'est là que réside, me semble-t-il, le nœud du problème : dans notre société occidentale (et dans la plupart des autres sociétés dites civilisées), les seins sont considérés comme un élément de séduction à forte connotation sexuelle, sinon érotique. Rarissimes sont les plages, en été, à autoriser le bronzage topless, toujours dans le souci de ne choquer personne et surtout pas les enfants. Ou dans l'ambition louable de ne pas stimuler, j'imagine, la libido des autres estivants. Il n'y a guère que dans les musées et dans certaines séquences de films que l'on nous montre les seins des femmes, et toujours dans un contexte précis qui est celui de l'art. Ou celui de l'amour. Ou celui de l'érotisme, voire de la pornographie. Ou –1875 renoir auguste etude torse effet de soleil study chest effect of sun​ et cela reste de l'amour, en somme – dans celui d'une mère allaitant son enfant.

Ah, la beauté fulgurante des marbres antiques ou Renaissance, de ceux créés par Rodin… La splendeur de ces Rubens, de ces Renoir, celle des Botticelli, des Caillebotte, des Courbet, des Degas… La beauté de Catherine Deneuve dans Belle de Jour, celle de BB en son temps…

Quel rapport, je vous le demande, avec le militantisme, avec la démocratie ?

N'ont-elles donc aucun autre moyen, ces viragos en colère, d'exprimer ce qu'elles pensent (si tant est qu'elles pensent…) ? Pas de mots, pas de phrases, pas d'idées ? Aucun talent oratoire ou littéraire ? Rien d'autre que des hurlements hystériques et incompréhensibles pour accompagner le spectacle navrant de leur demi-nudité militante ? Pas la plus petite once de créativité pour rédiger quelque pamphlet, pour « buzzer » sur YouTube ou sur Facebook, pour rapper, slammer, que sais-je ?

Non. Juste ce geste absurde et grotesque de placer leurs mamelles sous le nez d'inconnus qui n'ont rien demandé.

Consternant, je vous le dis. Et révélateur quant au degré de vulgarité et de crétinisme atteint par notre société, quant au degré de voyeurisme et de platitude des médias qui font la une avec de telles images. Pendant ce temps, des gens meurent en Syrie et ailleurs. Pendant ce temps, des femmes, ailleurs encore, sont violées chaque jour par des bandes armées. Des enfants sont battus, torturés, ou enrôlés dans d'absurdes combats afin de devenir bourreaux à leur tour. Bernard Tapie et Cahuzac font joujou avec des millions d'euros. Des pays entiers meurent de faim... Mais sans doute est-il plus vendeur de consacrer dix minutes d'antenne à trois ou quatre pseudo-militantes qui arriveraient presque à rendre Monseigneur Léonard sympathique (c'est dire !), et qui détourneraient du féminisme Simone de Beauvoir elle-même.

Toutes jeunes, ces femelles en fureur, et le plus souvent jolies. On se demande d'ailleurs pourquoi les vieilles et moches n'utilisent pas les mêmes armes de persuasion massive… Et pourquoi les hommes, je veux dire les mâles, ceux contre qui elles s'insurgent, ceux qui nous voilent, nous enferment, nous prostituent, nous violentent, nous dominent, nous vendent et nous achètent, pourquoi ils ne font pas pareil afin de défendre leur point de vue, leurs idées, leurs causes. Vous me direz qu'il y a moins de place sur… euh… comment dire… enfin… vous me comprenez, pour étaler l'un ou l'autre slogan, fût-il simpliste. Surtout, ce serait moins joli. Mais tellement plus rigolo !

Choqué par mes idées (car j'en ai, moi aussi) et par ce texte (car je suis capable d'écrire plus de deux ou trois mots à la suite, et sur de tout autres supports que telle ou telle partie de mon anatomie) ? Que l'on ne se méprenne pas : je suis une femme, comme ces tristes greluches, une gonzesse, une meuf, une nana... Je suis pour la démocratie, comme à peu près tout le monde. Je trouve la prostitution et la corruption regrettables, comme tout le monde aussi. Je me bats pour l'égalité, pour le droit à la différence. Quant à la religion, je pense qu'elle doit rester du domaine privé. Il m'est arrivé quelquefois de produire l'un ou l'autre texte – et de le publier – sur des sujets qui me tenaient à cœur. J'ai signé des pétitions. Je me suis beaucoup indignée, et je reste révoltée par les abus de toute sorte. Il m'arrive d'agir dans le sens de mes convictions. Mais je ne crois pas que se déshabiller soit une forme d'action, et jamais, même en ma belle et trop lointaine jeunesse, je n'aurais accepté de m'abaisser ainsi, de me dévaluer moi-même. Oserais-je dire : de me dégrader de la sorte ?

Peut-être parce que j'attache plus d'importance au contenu de ma boîte crânienne et au fonctionnement de mes neurones qu'aux glandes mammaires dont la nature m'a gratifiée, et que j'accorde plus de crédit à la chose dite et écrite qu'à la chose gueulée et exhibée.