extrême droite
La bête immonde
- Par Liliane Schraûwen
- Le 02/03/2020
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- Dans Colère
J’ai vu sur LA DEUX, récemment, deux documentaires français, l’un à la suite de l’autre. Le premier, intitulé « Hitler est-il de retour ? » montrait la survivance du personnage et du nom d’Hitler (jeux vidéo, BD, films…), à la fois mythifié et humanisé, presque sympathique. D’ailleurs, il aimait les chiens, et un homme qui aime les chiens ne peut être fondamentalement mauvais. J’ai ainsi appris que dans certaines régions d’Inde, on peut acheter des T-shirts à son nom ou à son effigie et manger des crèmes glacées « Hitler ». Même si l’on sait que le svastika est d’origine indienne et remonte au sanscrit, la banalisation de la « marque » Hitler (sans référence ni même connaissance du nazisme ou de la Shoah…) laisse pantois.
Le deuxième documentaire, nettement plus terrifiant (« Les fachos vont-ils vraiment conquérir l’Amérique ? ») est une plongée de plus d’une heure au cœur de la haine et de la bestialité décomplexées, en un pays que l’on se plaît à désigner comme « l’un des États les plus puissants du monde », un pays dont la Constitution, en son premier amendement, autorise sans restriction aucune la liberté d’opinion et d’expression. Sans restriction ? Non, car certains propos restent interdits, tels l’obscénité, la diffamation, l'incitation à l'émeute, le harcèlement, les communications secrètes, les secrets commerciaux, les documents classifiés, le droit d'auteur et les brevets. Oui, vous avez bien lu : l’incitation à l’émeute est prohibée, mais l’incitation à la haine, au meurtre, au rejet de l’autre, est parfaitement légale. L’obscénité est interdite, certes, mais le racisme, le suprémacisme, l’apologie du nazisme, le salut hitlérien, le port d’insignes nazis, la tenue de meetings et de réunions publiques prônant ces « valeurs » ne sont pas considérés comme obscènes. De grandes croix de feu continuent donc d'enflammer la nuit en souvenir nostalgique de l’heureux temps de l’esclavage, et personne n’y trouve à redire. Des croix ! Pauvre Jésus, où que tu sois, tu dois frémir à ce spectacle. Et puisque dans ce beau pays de liberté (illuminant le monde, comme on sait, grâce au napalm, à Hiroshima, à Trump – que béni soit son nom à jamais ! – et à ces magnifiques croix kukluxclannesques déjà citées), le deuxième amendement assure la liberté de vendre, acheter et porter des armes, les « débordements » se multiplient.
Terrible documentaire. On y apprend qu’il existe aux States (et ailleurs dans le monde, soit dit en passant) une multitude de groupuscules suprémacistes blancs et d’extrême droite qui, dans la foulée de la consternante démagogie du America First de Trumpie (béni soit son nom à jamais !), se regroupent, fusionnent, s’exposent, militent. Anecdotique et folklorique, car les USA sont loin de nous, à tous points de vue, et que Ubu-Trump a tout d’une mauvaise caricature ? Certes pas. En effet, ces puantes « idées » racistes, antisémites, extrêmes droitistes, facho et ouvertement nazies se répandent partout ailleurs, du Canada à l’Europe. En Allemagne, en Italie, en Autriche, en Bulgarie, en Croatie, en Espagne, en Estonie, en Grèce, en Hongrie, en Pologne, pour ne citer que quelques-uns des pays de notre Vieux Continent, fleurissent des partis qui se revendiquent parfois explicitement de l’héritage nazi, et dont les scores électoraux sont loin d’être anecdotiques. Sans même parler de notre cher Vlaams Belang belge à côté duquel Bartje fait figure d’enfant de chœur, ni de la (re)montée sans fards ni complexes d’un antisémitisme qui ne se cache plus.
C’est ici, chez nous. En France, à nos portes, au cœur de l’autoproclamée « patrie des droits de l’Homme ». Cimetières profanés, insultes publiques, agressions, attaques de synagogues, au prétexte du conflit israélo-palestinien ou d’autre chose. Les images du passé renaissent, les mêmes, et les mêmes mots. La même haine. Car la Shoah, c’est si vieux, n’est-ce pas ? La guerre des Gaules, les conquêtes napoléoniennes, 14-18, 40-45… Tout cela est passé, fini, enterré, oublié. C’est de l’histoire ancienne, celle que d’ailleurs l’on n’enseigne plus. Vos grands-parents, pourtant, et leurs parents, l’ont vécue, cette histoire. C’était ici, chez nous. « Interdit aux Juifs et aux chiens », c’était écrit sur les vitres de certains commerces. La maison voisine de la vôtre était peut-être celle d’une famille juive qui fut razziée, déportée, torturée, massacrée. Grands-parents, parents, enfants, bébés à naître. Non pas parce que ces gens étaient méchants, ni parce qu’ils avaient commis quelque forfait. Non, simplement pou r ce qu’ils étaient. Des Juifs. Des êtres humains cependant, mais que l’on pouvait haïr impunément et sans honte, puisque tout le monde le faisait. Puisque c’était permis, encouragé. Il y avait d’ailleurs sûrement une bonne raison à cela car, en somme, il n’y a pas de fumée sans feu…
On s’en fiche, me direz-vous, c’est si loin, ces histoires. Certes. Mais elles recommencent. Et je n’ose imaginer le succès encore plus fulgurant qu’aurait connu le Führer si, en son temps, Facebook et ses consorts avaient existé. Aujourd’hui, ils sont là, ces réseaux prétendûment « sociaux », et la haine, la bêtise, l’inculture et l’ignorance (qui souvent vont de pair avec la violence et le rejet de l’autre), le racisme, la xénophobie, y prolifèrent.
La bête immonde continue de ramper sur le sol de notre planète dévastée par sécheresse, pollution et autres catastrophes qui n’ont rien de naturel. Elle relève la tête. Elle s’appelle toujours antisémitisme, mais aussi racisme, suprémacisme, peur et dégoût de l’étranger, de l’immigré ; après tout, qu’ils restent crever chez eux, tous ces basanés, qu’on les rejette à la mer, ça fera de l’engrais pour les poissons, chacun chez soi, que diable, et les vaches seront bien gardées.
Voulez-vous que je vous dise ? L’humanité n’évolue pas. Elle ne progresse pas, sinon dans la violence et la veulerie, dans la barbarie. Nous sommes pires que nos anciens car nous, nous savons. Nous les voyons mourir et se noyer à nos portes, ces enfants à la peau brune ou noire. Nous les voyons chaque jour sur les écrans de nos smartphones périr sous les bombes, crever de faim, errer dans les ruines, hurler de peur et de douleur. Nous voyons ces dessins de croix gammées sur les trottoirs de nos villes, comme avant, et ces cortèges carnavalesques alostois qui donnent la nausée. Nous savons que c’est ainsi que tout a commencé il n’y a pas si longtemps, que tout recommence, toujours et pour toujours. Contrairement à nos parents, à nos grands-parents, NOUS SAVONS. Et tout le monde s’en fout. Tant que moi, je suis au chaud, tranquille, dans ma confortable demeure au frigo bien garni, pourquoi voudriez-vous que m’importe le sort de ceux qui meurent aujourd’hui, là-bas, ailleurs, ou devant ma porte ? Pourquoi me soucierais-je du racisme, moi qui ai la peau claire ? Qu’ai-je à faire du sort des Juifs, moi qui suis goy ? Ou de celui des migrants qui n’avaient qu’à rester chez eux, ou de celui des SDF qui, certainement, ont mérité leur déchéance ?
Un jour, pourtant, je serai peut-être de leur nombre. Car mes parents, mes grands-parents, ont été des fuyards eux aussi, des exilés. Les vôtres ont été persécutés peut-être. Ils ont eu faim, ils ont connu la misère. Et la guerre. Elle a tenté de les dévorer, la bête immonde, et c’est grâce à un peu de solidarité humaine qu’ils ont pu lui échapper. Un peu de cette solidarité qui, aujourd’hui, est entrée en agonie. La fin est proche.