wokisme

26 JANVIER 2022, PRESQUE EN DIRECT… ou QUAND LES LINGUISTES S'EMMÊLENT LES PINCEAUX

 

F14c52dd phpj5uc96 pngConsternant. Sidérant. Affligeant. Navrant. Terrifiant. Désespérant. Atterrant.

Les mots me manquent. Pourtant, c'est mon métier de les utiliser, après les avoir très longtemps enseignés avec passion. Je crois les maîtriser, j'aime en jouer, les marier, les polir et les ciseler, les apparier, les faire sonner en improbables anagrammes et autres ambigrammes. Ils sont le moteur de mon double métier d'enseignante et d'écrivain…

Je me suis installée ce soir sur mon divan devant la (généralement) excellente "Grande Librairie" de Busnel, sur France 5, bien décidée à passer une bonne soirée, littéraire et culturelle. J'avais lu qu'Erik Orsena figurait parmi les invités, ainsi que l'auteur Tonino Benacquista, que j'aime beaucoup. Je vais me régaler, ai-je pensé.

En effet, étaient invités : l'académicien Erik ORSENNA et le linguiste Bernard CERQUIGLINI, pour leur livre "Les Mots immigrés", en compagnie d'une certaine Aurore VINCENTI, auteur (autrice à en croire ses illustres compagnons de plateau et a fortiori elle-même) de deux ouvrages intitulés "Les mots du bitume" et "Comme on dit chez nous". Le premier reprend, si je m'en réfère à la présentation de l'émission, "les meilleures chroniques d'Aurore Vincenti diffusées dans l'émission QU'EST-CE QUE TU M'JACTES ? sur France Inter".

À l'écoute des incroyables âneries qu'elle proférait avec une belle autorité, j'ai eu la curiosité de vérifier les compétences de cette chroniqueuse devenue "écrivaine", histoire de savoir à qui j'avais affaire. J'ai donc découvert, sur Linkedin notamment, qu'elle se présente comme "spécialiste en LINGUISTIQUE, THÉRAPIE CORPORELLE, SEXOLOGIE". Tout cela à la fois… Excusez du peu.

Un vrai Pic de la Mirandole en jupons. Je précise "en jupons", car le dénommé Pic de la Mirandole, Jean de son prénom, était de sexe masculin : nul n'est parfait. Et, pour mon plus grand malheur, mon clavier d'ordinateur n'offre pas la possibilité du point médian inclusif que la dame revendique avec énergie…

Tout cela ne m'a pas empêchée de pousser plus loin mes indiscrètes investigations. Ceux qui pratiquent Linkedin le savent : cette plateforme offre à ses abonnés la possibilité de se présenter, dans l'optique d'attirer l'attention de potentiels employeurs. Voici donc le copié-collé de ce qu'écrit la dame à son propre sujet :

"Corps, danses, langues, imaginaires, sensibilités, genres et sexualités : voilà un aperçu de l'étendue de ce qui me traverse, m'émeut et me questionne.

Si vous aviez accès à mes mains, vous verriez qu’elles sont traversées par une multitude de lignes profondes et entrelacées comme autant de chemins que j’ai choisi de parcourir pour apprendre et me former.

J'ai dessiné une ligne de linguiste, initiée sur les bancs de l’École normale supérieure jusqu’à passer et obtenir une agrégation d’anglais.

Une seconde ligne, « d’éducatrice somatique » en Body-Mind Centering®, locution abstruse qui renvoie à des approches de conscience corporelle par le mouvement, la danse et le toucher.

Une troisième, en sexologie, à l’issue d’une formation à l'Université de Genève.

Mon amour des langues m’a engagée à développer un travail de vulgarisation linguistique dans les médias. Mon dada : tout ce qui est recalé aux portes du dictionnaire et tout ce qui tord le cou à la grammaire : les argots, les jargons, les parlers populaires et même les bruits qu’on fait avec la bouche.

En parallèle, j'accompagne des personnes seules ou en groupe dans des recherches sur la langue, le travail de la voix et du corps et la sexualité et si je suis amenée à tout faire en même temps, c’est là que je suis le plus heureuse !

À cela, j'ajouterais que je chante et danse depuis que je suis en âge de me rouler par terre !"

Oui, je sais : le style est… ce qu'il est. Mais lisons plus loin : la même source nous apprend, que ce génie (ou : cette génie ?) a fréquenté :

  • L'université de Genève, de 2019 à 2022, où elle a obtenu (toujours à l'en croire), un certificat en sexologie clinique.
  • The School for Body-Mind Centering® de 2015 à 2017, où elle a suivi une formation en "Somatic Movement Educator, Thérapies corporelles somatiques".
  • L'École normale supérieure, de 2009 à 2013, où elle a obtenu une agrégation externe d'anglais, diplôme ENS, langue anglaise et littérature.
  • L'Institut de Gasquet en 2019, où elle a suivi une "formation massage bébé, lien mère-enfant, Thérapie/thérapeute physique".
  • L'Université Paris-Sorbonne : obtention d'un Master 2 (M2), Langue anglaise et littérature/lettres (dates non précisées).

Époustouflée et un peu perturbée par tant de talents prodigieusement divers, j'ai eu la curiosité d'aller voir, dans la foulée, sa page FB. Cela m'a permis de découvrir avec émerveillement la prose de cette "linguiste" prétendument bardée de diplômes, qui écrit des phrases aussi lourdes qu'incorrectes. Un exemple ? Dans un post, elle évoque "un de mes professeurs érudit de droit constitutionnel" (érudit de droit constitutionnel ???) qui, selon elle, professait que "ceux qui sont là pour sauver la veuve et l'orphelin, vous vous êtes trompés de voie, la loi est faite par ceux qui ont le pouvoir, la classe dominante, et ils veillent à préserver leur privilège…". J'ose espérer, quant à moi, que cet "érudit de droit constitutionnel" (sic) s'exprimait mieux et, surtout, plus clairement. J'ai aussi découvert à la lecture de ses messages qu'elle préconise l'union "pour que les lois liberticides ne deviennent pas la normalité", nous enjoignant de "faire appel à notre humanisme, notre solidarité, notre fraternité, que personne, aucun pouvoir ne puisse démanteler cette force de notre société". Ne me demandez pas de quelle "force de notre société" il s'agit, car j'avoue humblement que je ne l'ai pas compris — sans doute parce que je n'ai pas, quant à moi, suivi 5 formations (pseudo) universitaires. Quant aux lois liberticides, j'imagine que ce sont celles qui imposent le passe sanitaire, les mesures de confinement et autres faits de tyrannie dont le seul but est de protéger la société dans son entier en évitant autant que faire se peut la propagation d'un virus qui tue — le vilain — sans distinction, avec une nette préférence pour ceux qui refusent lesdites lois et le vaccin, tels feu les frères Bogdanoff.

Poursuivant mon enquête, j'ai parcouru les quelques pages de ses "Mots du bitume" proposées, en avant-goût, sur google books. Cela m'a permis de constater que l'on peut être linguiste, publier aux éditions Le Robert, sans pour autant respecter les règles des traits d'union, de la ponctuation, des accords au pluriel ou de l'imparfait du subjonctif, ce que m'ont notamment démontré les "bouc-émissaires" (sic) qu'elle mentionne et le jeu de mots selon lequel "il s'en fallut de peu que le boloss fut [sic] un beau gosse". Mais nobody's perfect, et ces petites erreurs n'empêchent personne de youtuber à tout va (car elle trouve encore le temps de se livrer à cette intéressante activité) ou de discuter le bout de gras chez Busnel avec un académicien de 74 printemps goncourisé qui, pour la circonstance, m'a paru étrangement… heu… comment dire… étrangement et tristement wokiste, pour employer un terme (trop) à la mode, ou "à côté de ses pompes" pour parler "bitume". En tout cas, très en dessous de ce qu'on pouvait espérer de l'auteur de quelque 46 ouvrages (ce qui le place bien au-dessus de notre Amélie nationale), parmi lesquels les fameux "La grammaire est une chanson douce" et "Les chevaliers du subjonctif".

Gde libr

Les ravages de l'âge peut-être, que Racine appelait plus joliment "des ans l'irréparable outrage", à moins que ce fût (à l'imparfait du subjonctif et avec l'accent circonflexe, forcément) le désir de jouer à faire semblant d'être dans le vent, ou plus simplement le plaisir de ce brin de provocation qui l'a toujours caractérisé… Et vas-y que je féminise à tous crins, que je parle de "celles et ceux" et des "Françaises et Français", que je réfléchisse gravement sur le point médian et autres inclusivités aussi invraisemblables qu'incompréhensibles.

La LINGUISTE-SEXOLOGUE-DANSEUSE-CHANTEUSE-THÉRAPEUTE CORPORELLE ET SOMATIQUE-YOUTUBEUSE-MASSEUSE-AGRÉGÉE en rajoutait avec délice, sans paraître s'apercevoir que ses deux éminents confrères s'égaraient dans les définitions et étymologies qu'eux-mêmes cependant avaient renseignées dans leur ouvrage, au point que Busnel s'est permis de leur demander si ce livre, c'est bien eux qui l'ont écrit. Elle aussi, d'ailleurs, se perdait dans les questions générées par son propre bouquin. Bref : une catastrophe, dont je ne savais si je devais rire ou pleurer. Jusqu'au moment où cette "enseignante" (car oui, elle a aussi enseigné à ce qu'elle raconte dans moult interviews) a expliqué sans rire que les jeunes, ces pauvres gamin-e-s que les profs et l'élite méprisent paraît-il, ont en fait une très grande richesse linguistique et sont parfaitement bilingues. En effet, non seulement ils maîtrisent ce langage "du bitume" que nous, les vieux cons qui n'avons pas écouté du rap pendant 5 ans comme elle se vante de l'avoir fait, ne comprenons pas, mais en outre ils maîtrisent tout aussi bien notre langue à nous, les "vieux", les "profs", les "élites". Là, j'ai fait un triple saut périlleux et j'ai frôlé la crise cardiaque. Car, de toute évidence, elle n'a jamais mis un pied dans une classe d'ados. Moi qui continue d'enseigner en cours particuliers malgré mon âge canonique, après une longue carrière de prof de français dans le secondaire et le supérieur, moi qui continue d'aider toutes sortes d'élèves, de tous les niveaux, je suis chaque jour confrontée à des gamins (pardon : des gamin-e-s) qui ne comprennent pas le sens de textes pourtant simples, qui me demandent très sérieusement pourquoi les auteurs emploient des mots compliqués comme "joli", "charmant", "gracieux", mignon", séduisant", "plaisant", "délicieux", etc. alors qu'ils auraient pu se contenter d'écrire "beau", ce qui est quand même plus simple… Et croyez-moi, des enseignants bien plus jeunes que moi (ou moins vieux, c'est selon), sont tout aussi sidérés par l'actuelle méconnaissance par leurs élèves, tous niveaux sociaux confondus, du vocabulaire le plus élémentaire. Il va sans dire que, lorsque quand j'écris ici le mot "enseignants", je vous laisse ajouter mentalement l'inévitable point médian, car il y a aussi des femmes dans cette merveilleuse profession.

Il ne s'agit pas, comme elle l'a proclamé, de prendre prétexte de l'existence d'enfants dyslexiques pour refuser le point médian et autres fariboles inclusives. Mais dites-moi, comment apprendre à lire, et à écrire, à des petits bouts de 6 ou 7 ans qui n'ont rien de dyslexique, sur base de textes truffés de "enfant-e-s petit-e-s" qui, "tout-e-s ont des professeur-e-s sévères et exigeant-e-s" ??? Et comment lire tout haut une phrase de ce genre ? Comment utiliser et accorder l'abominable IEL dont Orsenna et madame Vincenti vantaient les mérites ? Et lorsque quelques rares bambin-e-s auront malgré tout réussi à atteindre le collège, comment leur expliquer que si "tout homme est mortel" selon les philosophes, cela n'implique pas que les femmes, elles, soient peut-être dispensées de ce destin funeste ? Comment, en biologie, parler de "la girafe" en expliquant que pourtant cette race, comme celle des humains-e-s, comporte des mâles, tout comme celle des panthères ou des tortues, alors que de son côté l'espèce des lézards ne manque pas de femelles, pas plus que celles des oiseaux ou des poissons, parmi lesquels d'ailleurs certains ont un genre féminin pour un sexe quelquefois masculin, comme la truite, la raie, l'anguille ??? Et comment nommer l'escargot qui change de sexe en prenant de l'âge ?

Bref : on connaît le mantra que je répète volontiers : "la connerie humaine est sans limites"… et ce n'est pas près de s'arranger, semble-t-il.

Il me reste à espérer avec madame Vincenti "que les lois liberticides ne deviennent pas la normalité", et que par conséquent, personne n'obligera jamais les gens — et surtout ne m'obligera jamais, moi — à écrire, penser ou enseigner dans le droit fil de ce sinistre et imbécile wokisme qui n'est qu'une fausse bien-pensance inepte et abêtissante.