De la littérature

de Fabienne à Amélie, ou quand Uccle se délocalise au Japon

AmelieLa RTBF a diffusé un documentaire consacré à l’inénarrable Amélie Nothomb qui, sauf erreur de ma part, en est à son vingt et unième roman de rentrée. Vingt et un romans en vingt et un ans. Faut le faire, quand même ! Chapeau (sans jeu de mots) pour tant de constance et de régularité.

Ceux qui m’ont un peu fréquentée dans ma vie de prof savent ce que je pense de son œuvre (et de son personnage, médiatique autant que factice). Ce n’est pas aussi calamiteux que du Marc Lévy ou du Guillaume Musso, c’est entendu. Si je m’en réfère aux cinq critères que je considère comme devant être réunis chez ceux que j’appelais, pour mes étudiants, « les vrais écrivains », à savoir la maîtrise de la langue (c’est un minimum), un besoin quasi pathologique d’écrire, un style personnel et reconnaissable, la création d’un univers propre et une thématique qui se retrouve de livre en livre, elle s’inscrit incontestablement dans cette catégorie… ce qui n’est pas nécessairement une garantie de qualité. Mais bon, c’est quand même mieux que les Lévy, Musso et autres Dan Brown, faiseurs et producteurs plutôt que créateurs. Certains de ses romans sont d’ailleurs bons, voire très bons, comme le premier, Hygiène de l’Assassin, ou Stupeur et Tremblements. Mais que de navets calamiteux à côté de ces quelques bons textes, des Catilinaires à Attentat en passant par Antechrista et par ceux que je n’ai pas lus et que je ne lirai pas, maintenant que plus rien ne m’y oblige.

Au fond, sa plus grande œuvre (et la plus intéressante sinon la plus réussie), c’est sans doute le personnage et la légende qu’elle a créés.

Je me suis toujours amusée – et quelquefois agacée – de l’entendre raconter tous azimuts qu’elle n’est arrivée en Belgique qu’à l’âge de 17 ans pour entrer aussitôt à l’ULB, en philo romane, alors que je suis particulièrement bien placée pour savoir qu’elle a fait ses études secondaires et a été interne (tout comme moi) à l’Institut des Fidèles Compagnes de Jésus (ça ne s’invente pas), avenue Montjoie, à Uccle, Bruxelles. Elle est trop jeune pour y avoir été ma compagne d’internat, et trop jeune aussi pour y avoir été mon élève, du temps que j’y enseignais. Mais nous avons eu les mêmes professeurs, parmi lesquels, bien sûr, Claire Kozyreff en latin et en grec, et mademoiselle Van Rymenam, entre autres. Je me souviens de la réaction de Claire après qu’elle avait entendu Fabienne, puisque tel est son prénom véritable, expliquer un jour au micro de France Culture que toute jeune déjà, au cours de ses études secondaires, elle avait traduit et réécrit l’Iliade dans son entièreté ; Claire a failli s’étrangler, vu le niveau en grec de notre illustre écrivain. Elle m’a raconté lui avoir téléphoné après cette émission pour s’entendre rétorquer que « ce sont des choses qu’on dit à la presse »… Presse un peu naïve, quand même, pour imaginer qu’on enseigne le grec ancien au Japon, au Bangladesh, en Chine ou dans une autre de ces contrées lointaines d’où notre Fabi nationale n’émergea que pour entrer à l’université… Tout comme sont naïfs les exégètes et les chercheurs qui consacrent thèses et mémoires à l’exotique écrivain pseudo-japonais en s’appuyant sur ces éléments biographiques, considérant comme vérité d’évangile les incroyables fariboles qu’elle invente avec la même créativité que celle qui préside au choix des prénoms de ses personnages.

J’ai regardé l’émission, curieuse de voir si la fable de la naissance japonaise (car non, Etterbeek n’est pas au Japon, je le sais pour y être née moi aussi !) et de l’arrivée tardive en Belgique était toujours d’actualité.

Mais oui. Cette fable-là et quelques autres, dont je connais également les dessous, et qu’il me paraît inutile de démythifier ici.

Tout cela n’a en somme pas beaucoup d’importance. Chacun a le droit d’être un peu mythomane ou très menteur. Un artiste peut parfaitement se dissimuler derrière un pseudonyme, s’inventer un nom et une vie, se créer une légende, confondre ses rêves et la terne réalité. Peu importe, finalement, que « le plus japonais des écrivains belges » souffre de je ne sais quel trouble psychologique ou ne soit qu’une fieffée menteuse. Peu importe aussi que tout cela ne soit que marketing et publicité, ou ressortisse d’une pathologie ou d’une névrose. Du moment qu’il existe quelque chose qui ressemble à une œuvre.

Mais est-ce le cas ?

Car je ne peux m’empêcher, quand même, de m’interroger : quelle est, dans le succès de personnages de ce genre, la part du talent (ou à tout le moins, la part du fait de répondre au goût du public) et quelle est celle d’une sorte de campagne de marketing ? Peut-être devrais-je me vêtir de noir, porter de grands chapeaux, raconter partout que je me nourris de fruits pourris et que je bois six litres de thé noir à mon petit lever, vers quatre heures du matin. Peut-être devrais-je me targuer d’être née où je ne suis pas née, d’avoir grandi où je n’ai pas grandi… Ma notoriété et mon talent en seraient-ils plus grands, ou mieux appréciés ? Pour ce qui est du talent, je ne sais pas. Quant à la notoriété… À quoi bon, finalement ? Être connu, reconnu… Passer à la télé, avoir sa photo dans les magazines… Je ne crois pas que cela me plairait vraiment. Pas assez narcissique. Et puis, je n’aime pas suffisamment mon image pour rêver de l’étaler sur papier glacé ou sur écran-plasma.

Et pourtant… Être reconnu, n’est-ce pas ce que cherche tout artiste, du plus minable au plus génial ?

Pourquoi donc écrit Le Clézio, pourquoi écrivaient Camus, Rimbaud, Villon, pourquoi écrivent des gens comme Paul Auster, comme Murakami, comme John Irving et tant d’autres ? Qu’est-ce donc qui poussait Renoir ou Van Gogh à peindre, Mozart à composer ? Cherchaient-ils la reconnaissance, ou avaient-ils besoin, tout simplement, d’inventer un monde et, au passage, de créer de la beauté, de l’émotion, de la profondeur ? Entre « reconnaissance » et « partage », il y a de la marge, comme entre « commerce » et « art », comme entre « mode » et « talent », entre « célébrité » et « génie »…

J’en viens à me demander si l’art véritable, en fin de compte, ne serait pas d’écrire sans chercher à être lu. Cela existe-t-il ? Si c’est le cas, personne n’en sait rien, évidemment. Mais pourquoi s’évertuer à mettre en mots, en couleurs, en musique, ce qu’on ressent et ce qu’on rêve, si ce n’est pour atteindre, par-delà le temps et l’espace, ses « frères humains » ? Pourquoi créer sans partager ? Pourquoi et, surtout, pour qui ?

Fabienne N. ne cherche peut-être que ce que nous cherchons tous, les vrais artistes comme les fumistes, les jeunes comme les vieux, les fous comme les sages. Le succès, peut-être, des petits morceaux de gloire, quelques miettes de célébrité. Un simulacre d’amour. L’illusion d’être comprise, ne serait-ce qu’un peu.

Mais tout cela, pourquoi le chercher à travers mensonge, tromperie, supercherie ?

À moins, bien sûr, que tout art ne soit qu’imposture.

Mais cela, c’est une autre histoire.

John Irving au Palais des Beaux-Arts

IrvingHier soir, je suis allée écouter John Irving au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.

À l’occasion de la sortie de son dernier livre (« In one person ») et de sa traduction en néerlandais (« In een mens »), invité par Passa Porta, il se trouvait interviewé – en anglais, forcément – par Annelies Beck, elle-même écrivain. J’avoue que je ne la connaissais pas. Une heure et demie de propos qui m’ont paru très intéressants… pour ce que j’en ai compris. Beaucoup trop peu à vrai dire. Si quelqu'un se sent d’attaque pour me traduire tout ça (que j’ai enregistré)…

Mais même comme ça, en ne percevant qu’une partie de ce qu’il disait, c’était intéressant. Autant que Paul Auster, écouté naguère dans le même lieu et dans les mêmes conditions. La voix, le regard, les gestes, cela parle aussi. Bien sûr, il s’agit d’écrivains, pas d’hommes de spectacle. Mais les mots, ce sont quand même leur matériau de base. Quand ces mots passent par la voix, quand on entend le souffle, le rire quelquefois, les hésitations, quelque chose surgit. Un peu comme si ces mots prenaient chair.

Il y a néanmoins quelque chose d’étrange à voir ces êtres de silence et de solitude ovationnés et applaudis comme de quelconques vedettes de variétés.

Et la traduction française ? demanderez-vous. L’an prochain, paraît-il.

Au fait, quel âge a-t-il donc, John Irving ? Eh bien, 70 ans à peine. L’âge qu’aura Fabius à la fin du mandat de François Hollande. Cherchez l’erreur, encore une fois.

Le fauteuil 40

Lu dans le Figaro littéraire du 12 avril, sous la plume un brin ironique – me semble-t-il – de Blaise de Chabalier: “L'ancienne vedette du "20 heures" de TF1, Patrick Poivre d'Arvor, également écrivain prolifique, a plus que jamais l'intention d'être reconnu comme un homme de lettres. Ne vient-il pas de déposer sa candidature à l'Académie française ? On saura le 26 avril si celui qui obtint le prix Interallié en 2000 pour L'Irrésolu deviendra, ou non, immortel. Le suspense est intense tout comme celui ménagé par PPDA dans son nouveau roman, Rapaces (…). Décidément sur tous les fronts, PPDA prépare aussi aux PUF un "Que sais-je" (…)”

Prolifique, en effet! On se demande comment il arrive à faire – et à écrire – tant de choses…

Un peu tard pour un poisson d'avril. Vérification faite, l'info d'ailleurs n'a rien d'une farce.

On croit rêver. Certes, l'Académie est une très vieille dame (immortelle, sans doute, mais il est un âge où même les dieux se voient menacés d'Alzheimer), et à 377 ans, ma foi, on peut comprendre et pardonner bien des erreurs. À moins que ce soit le candidat qui souffre de ce qu'on appelle pudiquement des "troubles cognitifs", même s'il est plus jeune (ou devrais-je écrire "moins vieux") que moi de quelques mois. Car enfin, cet "homme de lettres" (qui ne sont pas toujours les siennes) a quand même été poursuivi il y a un an à peine pour "atteinte à la vie privée et contrefaçon" et, dans la foulée, condamné à verser 33.000 euros à sa victime et ex-amie, même si le candidat à l'immortalité a annoncé qu'il ferait appel de cette décision. Plagiaire, lui ? Pensez donc ! Mufle non plus, c'est évident. Et sans une once de vanité.
Bien sûr, il y a aussi l'affaire de sa bio d'Hemingway, et les révélations de l'Express. Une cabale, rétorque le grand homme, une de plus !

Et n'ayons pas la mesquinerie de revenir sur les condamnations judiciaires dont il a été l'objet, notamment pour recel d'abus de biens sociaux, pour diffamation… N'insistons pas non plus sur l'interview truquée de Fidel Castro en 1991. Ni sur les rumeurs concernant l'un ou l'autre nègre éventuel. Mensonges , malveillance pure ou, à tout le moins, péchés de jeunesse que tout cela, erreurs de vieillesse, et que celui qui n'a jamais péché lui jette donc la première pierre…

Broutilles vous dis-je, qui ne devraient en rien interférer dans les projets académiques du chauve le mieux camouflé du landerneau littéraire. Pourquoi donc l'Académie s'arrêterait-elle à de si basses considérations, elle qui n'a pas hésité in tempore non suspecto, comme disent les juristes, à décerner son Grand Prix du Roman à la championne toute catégorie du plagiat avéré, vérifié, estampillé et… immortalisé, grande admiratrice par ailleurs de Kadhafi, qui n'était pas immortel comme l'ont prouvé les événements.

Souhaitons donc au cher Patrick de rejoindre – enfin – cette cour des grands dont sans doute il a toujours rêvé. Je l'imagine tutoyant ses nouveaux amis et discutant littérature avec l'auteur du Passage et de La Princesse et le Président sous le regard à peine teinté d'ironie de Jean d'Ormesson, cependant que notre compatriote François Weyergans prendrait des notes, pour le cas où une panne d'inspiration le mènerait à puiser dans ses souvenirs la trame d'un futur opus.

Ayant eu la curiosité de m'informer sur les autres prétendants au fauteuil 40, je vous en livre bien volontiers la liste, fournie par l'Académie elle-même. Ils sont au nombre de huit. À savoir, outre l'illustre PPDA, les moins illustres Michel Carassou, Yves-Denis Delaporte, Michael Edwards, Olivier Mathieu, Thierry de Montbrial, Isaline Rémy, Joël Vergnhes. Vous ne les connaissez pas ? Rassurez-vous, moi non plus. J'ai donc sollicité mon pc, et voici ce que m'a révélé une recherche rapide.

Le premier est historien de la littérature et essayiste, le deuxième est poète et blogueur (j'ai toutes mes chances, je devrais peut-être poser ma candidature, moi aussi…), le troisième est professeur, critique et poète. Thierry de Montbrial me plaît bien car son nom a un parfum d'ancien régime tout à fait romantique qui ressemble à l'un de ces pseudonymes auxquels s'essayait le jeune Romain Gary dans La Promesse de l'Aube. En plus, il arbore sur sa page Wikipédia une belle tête qui ne dépare pas son patronyme. Dommage qu'il soit économiste. Nobody's perfect, n'est-il pas ? Isaline Rémy est un écrivain à peu près aussi célèbre que moi,  peut-être même un peu moins… Quant à Joël Vergnhes, eh bien, j'avoue que même Internet ne m'a rien appris à son sujet. 

PPDA a donc toutes ses chances, quels que soient ses innombrables démêlés avec la Justice et les casseroles qu'il traîne derrière lui. Lui, au moins, tout le monde le connaît. N'est-ce pas cela, finalement, l'essentiel aujourd'hui ?

Mais que fait Le Clézio ? me demanderez-vous. La réponse est simple. Il s'occupe de l'essentiel: la littérature.